mardi 28 décembre 2010

Le temps c'est de l'argent

La pire chose qui puisse arriver ici dans vos relations avec la police, c'est d'être blanc et pressé. Malheureusement pour moi, cette semaine, j'étais pressé (en plus d'être blanc).

Un policier sénégalais, me dit-on, touche dans les 200 dollars par mois. C'est beaucoup pour certains ici mais, dans l'absolu, c'est peu. Dès lors, dès que vous commettez une infraction (ou conduisez comme si vous pouviez avoir commis une infraction), une opportunité s'ouvre au Pandore pour arrondir son début, son milieu, voire sa fin de mois.

Il est important de relever que le policier reste, dans sa corruption, honnête: il vous laisse le choix. Soit vous lui laissez votre permis de conduire et devez le récupérer le lendemain au poste en payant très officiellement votre amende au poste, soit vous discutez d'un réglement amiable sur place et dans l'instant. Vous pouvez aussi rester à discuter de ce que la faute de conduite n'est pas avérée ou que le prix de l'amende est trop élevé ou la confiscation du permis exagérée, mais il faut du temps. L'agent de police est, lui, là tous les jours, toute la journée - la discussion est donc une distraction comme une autre, et du temps il en a plein, en tout cas plus que vous qui, d'un autre côté, êtes blanc. Et pressé (ou chauffeur de bus sénégalais et donc également pressé).

J'étais, ce jour-là, très pressé. On me demande 18'000 CFA (soit 36 dollars US, et trois fois le prix d'une amende normale). J'avais il est vrai grillé à peu près tout ce qu'on peut imaginer comme règle du code de la route sur les 200 kms précédents, mais ce n'est pas une raison, on ne m'avait pas vu. Quoiqu'il en soit, j'étais sacrément pressé et je n'avais vraiment, vraiment pas le temps de discuter (et en plus je déteste négocier). Plaidant l'absence de petite monnaie, j'ai quand même dit qu'en tout état de cause je ne pourrais jamais payer que 15'000 et j'espèrais que ce brave représentant de la force publique saurait trouver une solution à mon dilemne.

L'agent m'a souri et j'étais reparti dans la minute.

Ce qui m'embête dans tout cela, ce n'est pas tant le coût (tant pis pour moi) que le fait que j'ai dû céder, après 7 mois, à mon premier maître-chanteur (c'était ma 6e "interaction"). Le sel sur la plaie, c'est que trois jours plus tôt j'avais fait la morale à la Voisine sur le fait que jouer le jeu du corrompu, c'est pas bien. Ca fait toujours mal de devoir mettre à mort soi-même ses grands principes (insulte supplémentaire: elle s'en était sortie pour 5'000 CFA).

Le lendemain, au retour, on me demande à nouveau de m'arrêter. Mais là j'avais le temps. Et des chocolats, que j'ai donnés sans trop y penser aux petits talibés qui mendiaient autour du policier (Jean-François de Galaup n'aime pas le chocolat, personne n'est parfait). Que ce soit cela ou la discussion, toujours est-il qu'après un quart d'heure le pandore me lance un magnanime "Je vous gracie". Je suis reparti sans soucis.

dimanche 26 décembre 2010

Le Galaxie

Impossible d'aimer le Thieb sans aller voir sa mère patrie, là où, d'après les légendes, il serait né: Saint-Louis, ex-capitale de l'AOF, maison du thiéboudiène pemba mbaye.

Le temps passe, mon séjour touchera à sa fin plus vite que prévu, il est donc temps d'aller explorer cette Mecque du bon goût et du temps heureux des colonies. A peine débarqué dans la ville (charmante mais sans plus, l'UNESCO classe vraiment tout et n'importe quoi de nos jours), je demande où se trouve le meilleurs thieb du quartier. On me propose le Galaxie, à deux pas.

Aussitôt dit, aussitôt testé.

Je ne ferai pas dans le lyrique - comme la ville, ça se résume un peu à un "bien mais pas top". Un peu de tout ce qu'il faut, certes, et pour changer un riz épicé. Mais sorti de cela, pas de quoi casser trois pattes à un canard. En l'absence de sauce boulettes, j'ai l'impression ici qu'on se fout un peu de ma gueule de touriste.

Bref, vous venez à Saint-Louis pour la ville et son thieb, vous ne reviendrez probablement pas pour ça mais pour sa réserve du Djoudj. Les phacochères et autres pélicans m'ont toujours laissés froid, mais c'est vrai que quand 7'000 de ces derniers prennent leur envol autour de vous, ca vaut son pesant de, euh, thiéboudiène.

Le Galaxie
Rue Abdoulaye Seck x Bouffers
Tél. : 33 961 2468 - 77 553 4906
Ouvert 7/7 de 11h à 15h et 19h à 23h

jeudi 23 décembre 2010

FesMAN

Ladite Républuque se trouve au Nord du Sunugal.
Le Festival mondial des Arts nègres (Fesman pour les intimes), c'est le joujou du Prez' pour décembre 2010. En fait c'était prévu pour 2009, mais l'organisation était tellement bancale qu'on a repoussé le truc d'un an et que l'organisation nouvelle formule a été confiée... à la fille du Chef. Jusque là rien de (trop) nouveau pour le pays, qui a déjà vu le fils dudit Chef bombardé quadruple ministre il y a quelques mois.

Les choses sont devenues plus intéressantes quand, le Fesman démarré, on s'est aperçu que les artistes n'étaient pas payés, parfois annoncés mais pas invités(!), les lieux de concerts pas prêts ou pas réservés. Côté succès populaire, je suis passé voir je ne sais plus quel truc, j'étais tellement tout seul que j'ai d'abord cru que c'était fermé.

Pour un petit bijou à 53 milliards de CFA (100 et quelques millions de dollars), ça fait désordre.

Ce que le bon peuple ignore, et que nous a confié un pote au gouvernement, c'est qu'il manque 80 milliards dans les caisses pour couvrir les importations de fuel de l'an prochain. Le fuel qui permet de produire de l'électricité dont on manque tant. En clair: il y a du courant jusqu'en juin. Après, on sait pas.

Mais au moins l'année se sera terminée sur une belle fête.

mardi 21 décembre 2010

Grand chelem

C'est ma semaine magique: après le thieb d'hier, je suis invité ce midi par une collègue à manger au Ngor Surfeur. Le plat du jour, figurez-vous, c'était du thiéboudiène. Et même si je l'avais déjà essayé, j'en ai bien sûr pris.

Puis le soir, chez la Voisine, sa femme de ménage lui avait préparé... un bon thieb. Je suis bien élevé et je mange ce qu'on me donne: j'en ai bien sûr pris.

Par contre là j'admets qu'après trois thiebs en deux jours, je me sens un peu balloné.

lundi 20 décembre 2010

Chez Loutcha

J'étais tranquille dans mon hall d'aéroport, ne demandant rien à personne, même pas à l'Oncle Ben's qui était à mes côtés. Puis débarque un vieux qui, comme tous les vieux, engage la conversation avec le premier voisin qui lui tombe sous la main.

Coup de bol, ce n'était pas moi.

Le Vieux commence donc à raconter à son voisin sénégalais, qui a la moitié de son âge, que ça fait 30 ans qu'il vit au Sénégal (ou en Espagne? Je sais plus), et patati, et patata. Ca fait trente ans, et il y a un truc qui vraiment, au Sénégal, le fait tripper:

C'est le thiéboudiène.

Je tends l'oreille et j'écoute.

"Le meilleur thieb que je connais, c'est chez Loutcha".

Quarante-huit heures à peine après cette rencontre j'étais attablé dans l'estaminet sus-cité.

Chez Loutcha, on m'en avait déjà parlé car c'est apparemment LE restau cap-verdien de référence à Dakar. En fait, vu la taille et la variété du menu (280 pages sans la couverture, au moins), on pourrait difficilement lui attribuer une origine géographique. Le menu comporte en tout cas une page entière dédiée au roi des plats sénégalais: pour 3'300 CFA, je relève le défi et en commande un.

L'ambiance est sympa et la portion aussi énorme que les plafonds de la salle sont haut (8m, au moins, on se croirait dans une chapelle ou un entrepôt réhabilités). Un service tellement copieux qu'il arrive carrément dans un plat plutot qu'une assiette (et je suis pourtant seul). On ne m'y sert pas un morceau de poisson, mais tout un poisson.

Et il y a plein de légumes. Et du beugueudj (une sauce à l'oseille, servie sur le côté). Et c'est bon. Et je suis content. Et je me dis que s'il avait été servi un peu moins tiède, ç'aurait probablement été le meilleur thieb de Dakar. Ne chipotons pas: c'est, à date, le meilleur thieb que je connaisse à Dakar.

Moralité: écoutez les vieux, ils savent des choses. Espionnez la conversation des autres, vous apprendrez des trucs intéressants.


Chez Loutcha
101 rue Moussé Diop (au coin du CCF)
Tél: 33 821 0302
Ouvert lundi-samedi, 12-15h, 19-23h

vendredi 17 décembre 2010

Clichés

Conférence avec des collègues des autres régions, bilan sur l'année écoulée et autres conneries où l'on transforme les échecs en succès, tout en évitant de parler des attentes irréalistes du management. Les muets parlent aux sourds, mais dans une ambiance plutôt détendue: on a même droit à la soirée karaoké.

Et puis au cours de l'un de ces dîners sympathiques qui doivent nous permettre d'échanger de manière amicale sur des sujets autres que strictement professionnels, on m'interroge -forcément- sur la vie au Sénégal.

Après avoir débuté la conversation en me demandant si le Sénégal était loin de la Zambie mon interlocutrice, dont nous protègerons l'anonymat en la désignant sous le sobriquet générique de "la pute russe" (mêmes fringues trop courtes des années 80, mêmes grands yeux bleus et corps sublime, même dandinement face à tout ce qui peut appartenir à la hiérarchie), s'écrie en apprenant l'emplacement de mes quartiers, face au vaste océan: "Oh my God, you have the sea in Dakar? That is so nice!"

C'est à partir de cet instant que l'Oncle Ben's et son comparse de la soirée Louis de Funès ont commencé à jurer leurs grands dieux que j'avais vraiment eu une monstre touche et que j'étais bête de ne pas la raccompagner après la soirée.

Sur ces entrefaits, un troisième larron s'incruste dans la conversation, larron dont nous protègerons l'anonymat en le désignant sous le sobriquet générique de "proxénète yougo". Celui-ci commence un interrogatoire discret mais consistant sur la gent féminine dakaroise, s'inquiétant de savoir si les filles y étaient faciles, s'il y avait beaucoup de sida, et si les filles y étaient faciles. Il a plus tard posé un peu les mêmes questions (surtout sur le sida) à l'Oncle Ben's. Puis il a quitté la table, allant demander à une collègue qui passait "quelle était exactement la nature de sa relation avec son mari" (je n'ai pas entendu la réponse, mais je ne crois pas qu'elle était encourageante).

Je n'ai rien contre ces meetings où l'ont se retrouve entre collègues et aux frais de la princesse, mais j'aurais des fois envies qu'on fasse une petite sélection à l'entrée.

jeudi 16 décembre 2010

Déjà vu

Je suis parti jeudi sur une énième coupure d'eau dans mes quartiers: sachons raison garder, je ne suis quand même pas trop à plaindre vu mon immense appart qui fait face à la mer. De l'eau il y en a donc, c'est juste pas toujours celle qu'on veut (et ça n'arrive pas tous les jours non plus).

Je suis rentré hier soir et il n'y avait pas d'électricité. L'électricien m'a demandé ce matin "un petit quelque chose" pour corriger le mauvais branchement qu'il avait fait par erreur en mon absence.

Je sens comme une certaine routine qui s'installe.

mercredi 15 décembre 2010

On a les amis qu'on peut

On n'est jamais déçu que par ses amis: le pays de la Teranga vient de se fâcher très officiellement avec son copain l'Iran, après l'interception au Nigeria en octobre d'une cargaison d'armes lourdes (dont des canons anti-aériens!) à destination des rebelles de Casamance. Ils ont fait fort: l'adresse de livraison était l'adresse personnelle du président gambien! Du coup celui-ci a rompu ses relations diplomatiques avec les ayatollahs.

Le mollah des Affaires étrangères est arrivé en quatrième vitesse à Dakar dimanche pour expliquer qu'il s'agissait d'un énorme malentendu, mais a appris pendant son séjour ici qu'il était viré (on voudrait l'inventer qu'on n'oserait pas). Du coup, notre ambass' là-bas a été rappelé.

Il semble que les Iraniens, outre une usine automobile, avaient aussi promis de livrer du pétrole pas cher - et visiblement ils ont voulu passer directement à l'étape suivante en foutant le feu.

A l'inverse, Khadafi est de passage pour le Fesman (le Festival mondial des arts nègres), et a fait venir hier à sa tente tous les mendiants du quartier pour leur distribuer des billets de 100 dollars. Et ah, oui, il a aussi réclamé la création d'une armée africaine d'un million de soldats pour protéger le continent des impérialistes.

De notre côté, on a appris dans le journal qu'un ministre de la région avec qui on avait perdu notre temps de manière très cordiale a fini par démissionner: apparemment certains de ses protégés au ministère avaient pour habitude de faire livrer les équipements chez eux - ça a fini par faire désordre.

Il faudrait que j'achète plus souvent les journaux locaux, il y a vraiment de quoi passer de bons moments.

mardi 14 décembre 2010

A table

Demain soir c'est la Tamkharit, nouvel an (lunaire) musulman: Deng Xiaoping a pour l'occasion déjà sacrifié non pas un mouton mais un boeuf, qu'il partage avec amis, parents et alliés.

Du coup, j'ai cinq kilos de barbaque sanglante qui m'attendaient ce matin dans un sac plastique sur mon bureau.

Barbecue anyone?

lundi 13 décembre 2010

Family business

Immense déception ce vendredi: la rumeur avait circulé que, pour fêter l'ouverture du Festival mondial des Arts nègres (le "Fesman" comme on dit ici) organisé par sa fille, notre bien-aîmé président s'apprêtait à déclarer la journée fériée. Las! Rien de tout cela, on a donc du aller bosser.

Petite consolation tout de même: le Sénégal (et son Président, et sa famille) a eu les honneurs des désormais inévitables wikileaks.

J'avoue avoir un nouveau respect pour la diplomatie américaine: ils ont écrit des trucs que j'ai instruction claire et ferme de garder pour moi ou pour la voie orale, s'il me prenait jamais la folle envie de les communiquer à mon management.

On apprend donc que l'ambass' est allée voir le vieux pour lui dire que s'il ne faisait rien contre la corruption, il pouvait se gratter pour toucher les 500 millions du Millenium challenge account. Qu'il a répondu qu'"aucun cas de corruption n'a été récemment porté devant la justice" (ergo qu'il n'y a pas de corruption?), mais qu'il ferait quelque chose quand même (commentaire de la diplomate: il "va louvoyer entre des mesures et la poursuite de l'autorisation donnée à ceux qui sont habitués à se servir dans les caisses du gouvernement de le faire, afin de s'assurer que leur loyauté demeure intacte").

Bon exemple, on apprend ainsi les conditions du financement de la statue de la Renaissance africaine - 26 millions d'euros payés par un allié du Prez' à une socièté nord-coréenne, et remboursés par une cession à vil prix d'actifs immobiliers.

Ce qui m'a fait le plus marrer, c'est le sobriquet du fils Karim, Ministre d'État en charge de l'énergie, des transports (il est d'ailleurs patron de la toute nouvelle Sénégal Airlines), et deux autres ministères dont j'ai perdu le nom: désormais, c'est Monsieur 15%, alors qu'avant la réélection de son père en 2007 il n'était apparemment "que" Monsieur 10%.

mardi 7 décembre 2010

Evidence

C'est au détour d'une conversation avec l'Oncle Ben's hier soir qu'il m'a fait remarquer une évidence: le président Wade est Fantomas:


Trop fou.

lundi 6 décembre 2010

Payback time

J'ai annoncé la nouvelle de mon retour forcé à Deng Xiaoping, qui l'a pris avec philosophie: "On vient de gagner notre doctorat en politique."

Première conséquence: vu que c'est la fin de l'année et qu'on doit formaliser le décompte des vacances pris lors de mon passage ici, il m'a dit de laisser ma feuille vierge et qu'il la signera comme telle - en clair mes congés 2010, officiellement non utilisés, sont reportés sur 2011: j'aurai donc 45 jours à prendre.

"Tu as du bol, c'est Pat Robertson qui paie", m'a-t-il dit.

samedi 4 décembre 2010

Recadrage

C'était plié du moment que je suis rentré dans le bureau de Pat Robertson. A peine descendu de l'avion, j'ai été rapidement et fraîchement sermonné sur le fait qu'il aurait du savoir avant tout le monde que j'avais l'intention de rempiler, que j'avais été gracieusement prêté pour une durée déterminée et que non, il avait bien trop de choses bien trop importantes à faire qui requéraient mon concours au QG. Rien à foutre de mes arguments, des besoins des autres services: pas de négociation. J'ai vécu des moments plus agréables, je n'en menais pas large du tout. Il a fallu encaisser la démonstration d'autorité en serrant les dents. N+1 était là aussi, jouant le bon flic pour contrebalancer le mauvais flic, mais il n'a pas été super utile.

Il m'a quand même donné le choix. Rentrer au premier janvier, et reprendre le cours normal des choses, ou rester un peu plus à Dakar et me chercher un autre poste quand je voudrai rentrer - vu que, ne pouvant pas attendre, il devra recruter quelqu'un d'autre pour prendre ma place. Je n'ai pas osé soulever que les recrutements étaient gelés et que même s'il pouvait, ça lui prendrait bien trois mois au moins: j'avais comme une intuition que ce n'était pas le moment de faire le malin. Si le mec qui bluffe a un flingue, c'est toujours difficile de lui dire "chiche".

Pat Robertson est un trou du cul. Je comprends en partie son point de vue (perdre un gars, c'est perdre du territoire dans la fosse aux requins), et il n'est pas payé non plus pour me faire des fleurs. D'un autre côté, je l'aurais mieux pris s'il ne s'était pas accroché à sa ligne "t'es super bon, on a besoin de toi" pour un plus raisonnable "tu ne seras pas remplacé, Dieu veut que tu continues l'expat, négocions".

De là, trois options:
  1. Rentrer en janvier. Ce n'est pas pour me déplaire, le job est sympa, si ce n'est pour la probable ambiance de merde dans les premières semaines au moins;
  2. Voir Christine Boutin et lui demander si comme promis elle a un poste pour moi. Inconvénient: ça la placera en porte-à-faux avec Pat Robertson, et je serai probablement persona non grata au siège pendant quelques années et devrai devenir expat permanent. Mouais;
  3. Recontacter le chasseur de tête qui m'a appelé il y a deux semaines et leur dire d'aller tous se faire foutre.
Les trois se valent - avec probablement une préférence pour le un, qui n'est finalement qu'un retour au scénario de base et me laisse le temps de calmer les choses et préparer les options 2 ou 3 sans partir sur un clash. Je peux aussi essayer de sauver la face et lui demander, puisqu'il pense tant de bien de moi, de valider une super évaluation en fin d'année (là, j'arrive pas à savoir s'il prendra ça comme de la provoc' ou comprendra le besoin qu'il a de faire un geste - je suppose que ça dépendra largement de la nature de son bluff).

Bref - journée de merde.

jeudi 2 décembre 2010

Démocratie

"Ceux qui nous donnent de l'argent nous ont demandé de faire la démocratie". C'est apparemment en ces termes qu'un général centrafricain a un jour annoncé à la TV que le régime se mettait au multipartisme et aux élections libres.

Ici ça fait deux jours qu'on attend le résultat des présidentielles ivoiriennes, dont la proclamation a déjà été repoussée deux fois. On a quelques Ivoiriens chez nous, qui apparemment se font passer les résultats des bureaux de votes par SMS et tiennent un décompte fantôme. Il semble que Ouattara ait gagné à la fois dans le Nord et le Sud, chez les Musulmans comme les Chrétiens. Sauf que Simone Gbagbo aurait déclaré à son futur ex-président de mari "si tu reconnais la défaite, tu n'es pas un garçon".

J'écris ça un peu comme une note en passant, histoire de comparer avec les évènements qui ne manqueront pas de se dérouler dans quelques jours. J'avoue que je n'ai pas trop d'opinion, mais avec la récente victoire d'Alpha Condé en Guinée il y a deux semaines (son opposant avait quand même eu 44% des voix au premier tour, contre 18% pour A.C.), je suis sceptique.

In other news: le Président Wade a récemment fait passer une loi pour interdire l'usage des téléphones portables lors des décomptes de voix, justement. Quant à la docteur qui a fait une déclaration à la Cour constitutionnelle (censée statuer sur la possibilité pour le Vieux de se présenter à un troisième mandat) pour témoigner de ce qu'il était atteint d'au moins quatre maladies graves (dont une débilitante), elle a été arrêtée et placée en garde à vue ce matin.

Gérontocratie

Je viens de finir un très bon bouquin intitulé Géopolitique de l'Afrique (Ph.Hugon, éd. Armand Colin, 2010), où l'on parle de (non-)développement et notamment de ce que l'auteur appelle une économie de rente. En clair, les entreprises d'État (et surtout l'État) sont là pour engraisser ceux qui en détiennent les commandes, pas pour prospérer et participer à l'accumulation collective de richesses. Ce qui fait qu'on a des gens très bien placés mais pas forcément compétents à la tête de nombreux services, et qui sont pour le surplus franchement inamovibles.

On a eu l'occasion de rencontrer un tel individu en Afrique centrale. Installé par Papa, il a su rester aux commandes de son pré carré lorsque le Fiston (qu'il a surement un jour tenu sur ses genoux) a pris les rênes. Bien connecté, il doit avoir dans les 80 ans passés (ce qui, dans la région, n'est pas donné à grand monde et mérite un certain respect). 

Nous sommes donc allés voir ce monsieur parce que, justement, il était au sommet, a priori connecté, et pouvait du coup peut-être faire avancer la Cause en nous présentant à la bonne personne. Pas de problème nous dit-il en substance, il connaît bien Deng Xiaoping et peut volontiers arranger cela pour lui. Ca sera réglé sous huit jours!

On repart tous contents, en promettant d'appeler la semaine suivante. Ce que l'on fait. Et là, réponse énorme du vieux crouton: "Pourquoi vous m'appelez à l'improviste? Ca fait des années que personne de chez vous n'est venu me rendre visite - comment va Deng Xiaoping?"

Du coup, on a préféré laisser tomber.

mardi 30 novembre 2010

La politesse ne paie pas

Sitôt le principe d'une extension de mon séjour sénégalais accepté ici, j'ai voulu passer un coup de fil à mon ancien n+1 européen pour lui annoncer que je serai vraisemblablement un peu en retard. Il a dit que ça l'embêtait évidemment, mais qu'il était passé par là et qu'il comprenait. On a raccroché en étant bien d'accord que c'était un appel totalement informel et de politesse, qu'il fallait respecter les convenances et attendre que Deng Xiaoping (mon n+1) parle à Christine Boutin (n+2), qui transmette la demande à Pat Robertson (n+2 aussi, mais Europe) qui enfin viendrait lui annoncer la mauvaise nouvelle. A vue de nez, probablement encore une semaine d'attente avant de devoir jouer la suprise.

Et puis j'ai reçu cet email deux jours plus tard, laconique: "J'ai parlé avec Pat Robertson, on a vraiment besoin de toi dès janvier. Rappelle moi ou dis-moi quand je peux t'appeler."

La leçon que je retiens, c'est comme pour Wikileaks: tout ce qui est dit de manière informelle un jour pourra être retenu contre vous. Il va désormais falloir jouer serré.

vendredi 26 novembre 2010

Le Djembé

Il m'est arrivé, plusieurs fois, de voir des films dont la bande-annonce était meilleure que le film lui-même. La promesse n'est pas à la hauteur des attentes, et même si le produit fini est correct on repart un peu déçu.

Laissez-moi vous parler aujourd'hui du Djembé. Non, ce n'est pas ce tambour qui fait le bonheur d'abrutis post-ados blancs qui avec leurs dreadlocks pensent être en phase avec la mère Afrique et parlent comme d'une blessure de guerre de la diarrhée chopée pendant leurs trois semaines de sac à dos. Non, le Djembé, plutôt qu'un détecteur de rebelles en carton-pâte, est aujourd'hui un restaurant du Plateau.

La bande-annonce, c'est quand des collègues sénégalais, informés de la Quête, vous indiquent que le thieb dudit restaurant est assez bon. Que vous vous asseyez et que sur le menu on vous annonce non pas la présence de thiéboudiène, mais que l'on peut vous servir -au choix!- du thieboudiène blanc ou du rouge (avec ou sans sauce tomate).

Vous commandez du thieb blanc (la première fois que j'en voyais proposé dans un restaurant), et on vous amène, avant le plat soi-même et comme pour vous mettre l'eau à la bouche, du khojn, le riz grillé du fond de casserole. Dans une deuxième saucière, de la sauce au tamarin.

A ce stade de l'exploration, j'ai cru que j'avais trouvé le Saint Graal.


Et puis vient le thieb à proprement parler, qui est aussi décevant que l'attente était élevée: gout fade, peu de légumes, poisson plein d'arrêtes et dont je ne pourrais même pas jurer qu'il avait du khof (pâte persillée) - si c'était le cas, il n'a pas laissé de souvenir immémorable.


Pour 2'500 CFA on peut difficilement être déçu, mais on n'est pas enthousiasmé. Je reviendrai quand même pour le thiéboudiène rouge.

Le Djembé
Rue Dr.Theze x Carnot
Tél: 33 821 06 66
Ouvert tous les jours.

vendredi 19 novembre 2010

Rempile

J'ai pris mon courage à deux mains et, à l'issue de ma dernière conversation avec Christine Boutin je suis allé voir Deng Xiaoping: je lui ai demandé s'il voyait un inconvénient à allonger mon séjour ici. Ca tombe bien, m'a-t-il répondu en substance, car il voulait justement me demander si je pensais pouvoir rester un peu plus longtemps.

Et puis la demande a commencé à faire le tour de la hiérarchie. Le Bouledogue a donné son accord ce matin; Christine Boutin est bien évidemment en phase; j'ai prévenu de manière informelle mon ancien n+1 que mon avion aurait du retard - reste juste désormais à faire avaler la pilulle à Pat Robertson. Mais a priori, c'est tout bon.

Comme me disait la Voisine, la différence entre un touriste et un voyageur, c'est que le voyageur ne sait pas quand il va rentrer chez lui.

jeudi 18 novembre 2010

Tabaski

Aujourd'hui, dans la série J'ai testé pour vous, nous parlerons de la Tabaski (ou Aïd-el-Kébir pour les 6 milliards de non-Sénégalais). La Tabaski, c'est la fête du mouton, ou plutôt, c'est le jour où l'on fait sa fête à un mouton.

Je passe sur les conneries religieuses: il faut aller lire Wikipédia pour le contexte. Ce qui m'intéressait, outre le désir morbide de voir un pauvre herbivore se vider de son sang, c'était de voir à quoi ressemblait ce bouzin dont Brigitte Bardot fait régulièrement scandale.

Eh bien c'est étonnemment anti-climactique.

J'ai pas dit que c'était pas bien, mais si je dois donner un point de comparaison dans le monde chrétien qui a bercé mon enfance, c'est probablement Noël (sans les cadeaux): on mange beaucoup et en famille, les rues sont plus vides qu'un dimanche d'hiver à Kuujjuaq, et les ados qui sont à table n'ont qu'une envie: quitter les discussions adultes pour aller s'enfermer dans leur chambre.

Après
Et ah oui, et aussi un pauvre herbivore se vide de son sang.

En fait d'abord les hommes vont à la prière, genre vers 9h du matin. J'ai jamais vu autant de monde, avec des sections de rue parfois bloquées. Ca dure 5 minutes, puis l'Homme rentre chez lui, enlève son boubou pour un truc plus confortable (genre training), et on emmène le mouton dans la cour ou le garage, où un trou est habilement disposé (ou creusé).

Et là pas de chichis religieux ou je ne sais quoi. Un gars payé pour ça arrive (je pensais que le meurtre rituel faisait partie du boulot de chef de famille: on m'a regardé comme si j'étais le dernier des barbares), on coince le mouton près du trou et zouip, gorge tranchée. Le sang coule pendant 30-40 secondes et c'est fini. Après il s'agit juste de dépecer le bestiau comme la photo ci-contre l'indique, et d'offrir des morceaux aux parents et alliés. On commence par faire griller le foie, qu'on mange en apéro vers 11h, puis les côtelettes grillées sont servies vers 13h au cours du repas (avec dans notre cas une salade d'endives et des pommes dauphines, bonjour l'exotisme).

On se pose ensuite dans le salon pour boire un café, regarder la télé, discuter, dire du mal des absents: bref, on zone en famille. Une journée plutôt relax, somme toute.

mardi 16 novembre 2010

On rase gratis!

Avant
Demain mercredi c'est la Tabaski, ce que d'autres peuplades n'ayant pas la chance d'être sénégalaises appellent plutôt la fête de l'Aïd-el-Kebir. Des moutons pleins les rues faisons holocauste, et après grosse fête!

Et du coup comme à chaque fois que des quantités obscènes de sang sont versées (il y a vraiment beaucoup de moutons), mercredi c'est jour ferié. Jusque là rien qui sorte de l'ordinaire.

Mais le Président Wade, dans sa grande sagesse et bonté, a décidé qu'en fait ce serait bien si jeudi était férié également. Aussitôt dit, aussitôt décrété!

Apparemment il fait ça tout les ans, mais le décret sort toujours à la dernière minute (on l'a appris à midi) pour que les gens soient vraiment contents. Malin.

lundi 15 novembre 2010

Le dossier

J'ai découvert cette semaine que Deng Xiaoping élaborait patiemment un dossier à charge. Pas contre le management ou son employeur (ça c'est bibi qui s'en occupe), mais contre le Président Wade. C'est assez particulier dans la mesure où Deng ne parle pas de politique, n'a jamais été encarté, même dans sa jeunesse, et que ce dossier n'est visiblement là que pour son divertissement personnel.

Chaque jour ou presque donc, en tout cas dès que la présidence commet une nouvelle énormité digne de la première page des journaux, Deng photocopie, découpe et colle religieusement de nouvelles pièces pour son dossier.

C'est un hobby comme un autre.

samedi 13 novembre 2010

The Endless Summer

Nous sommes mi-novembre, la mer est encore à 26°, un bon swell nous arrive et je passe mon après-midi à surfer. Nous sommes 4 ou 5 à attendre la prochaine vague, je rencontre par hasard celui dont j'ai racheté la planche en dépôt-vente. L'ambiance est détendue, comment pourrait-il d'ailleurs en être autrement.

J'ai le talent et la flottabilité d'une clef à molette. Mais finalement ce n'est pas très grave. Ce qui compte, c'est d'être dans l'eau, de voir une belle vague et, si quelqu'un d'autre la prend, c'est bien aussi.

vendredi 12 novembre 2010

Le Yakkalma

Je crois que je commence à avoir fait le tour des restaurants des Almadies. S'ils sont généralement très corrects (le Jardin), bien qu'un peu pompeux (le Mogador), on se dit que comparés à ce qu'on trouverait en Europe, pour le prix c'est une super affaire (quoique parfois ça se discute).

Mais quand un restaurant pour toubabs se spécialise en nourriture sénégalaise, on finit toujours par se demander, considérant les coûts locaux, si on ne paie pas surtout pour le décor. Ainsi va du Yakkalma, qui est pourtant un modèle de ce qu'un thieb doit offrir:
  • du poisson avec du khof, pâte persillée dont il est en partie fourré;
  • du riz cassé, avec un peu de khojn, le riz qui a grillé au fond de la casserole;
  • des légumes, forcément, dont le diakhatou, un croisement entre la tomate et l'aubergine, au goût horriblement amer et que personne, à ma connaissance, n'apprécie. 
Fun fact: la superstition locale dit que seuls refusent de manger du diakhatou les démons et je ne sais quels types d'individus magiquement pas fréquentables. Du coup, tout thieb qui se respecte en a, et tout le monde en prend un bout (pour les producteurs de cette infamie gustative, c'est probablement le meilleur coup marketing de tous les temps).
    Donc voilà, le thiéboudiène du Yakkalma est bon, il a tout ce qu'il faut là où il faut. On regrette juste qu'à 6'500 CFA la portion à emporter ce soit, encore une fois, un tarif de toubabs. Mais si on y reste, le décor est sympa.

    Le Yakkalma
    Route des Almadies, 200m avant le Méridien
    Tel: 33 820 6061
    Ouvert midi et soir.

    jeudi 11 novembre 2010

    Les expats

    L'idée qui semble dominer en Occident (en tout cas je l'avais un peu avant de partir), c'est que les expats sont un peu comme des parachutistes: largués en milieu hostile, ils survivent et réussissent grâce à leurs compétences supérieures et leur leadership exceptionnel, qui leur permet de mener au pas de charge des indigènes ingrats et indolents vers des lendemains qui chantent.

    Je me demande s'il n'y a pas une exception avec nos toubabs. Exemples choisis de la semaine:

    1. On a des problèmes avec la police locale pour une histoire d'amende - jusque là rien de grave, tout le monde  prend un jour une amende. Sauf que le Bouledogue, leader éclairé qu'il est, a peur de devoir demander une rallonge à son Chef, là-haut, qui lui a dit que les temps étant durs, il fallait couper les budgets. Du coup, l'amende est tranquillement en train de glisser vers le statut de refus d'obéissance à l'autorité ou je ne sais quelle infraction caractérisée qui fait qu'au final, on paiera une autre amende pour ne pas avoir réglé la première amende.

    2. On a des problèmes avec la douane locale parce qu'un de nos expats, qui s'occupe des fournitures, s'est trompé en remplissant un formulaire. Jusque là rien de grave, tout le monde se trompe une fois dans les formulaires. Sauf que pour lui c'est la deuxième ou troisième fois (avec autant d'amendes subséquentes), et qu'il ne parle toujours pas français après deux ans ici à, figurez-vous, remplir des formulaires en français.

    3. Un responsable pays, membre de l'équipe de direction, s'en va; il part enfin retrouver sa femme, son Home Sweet Home hispanique et un poste en Europe. Ses troupes ici l'aimaient bien: il se pointait à 11h le matin, partait à 15h et, en fin de compte, ne leur demandait que de lui trouver des putes pour meubler son week-end. Histoire de la jouer local le Bouledogue, en leader éclairé, a proposé à l'un de nos indigènes de grade similaire de le remplacer: sauf qu'il ne sera pas augmenté (alors qu'un expat est autrement plus cher qu'un local), ne fera pas partie du comité de direction, et en plus devra gérer une équipe qui, comme indiqué plus haut, n'était jusque là pas évaluée sur sa capacité à faire ce pour quoi elle était officiellement payée.

    Bizarrement, notre indigène a refusé de travailler plus pour gagner autant. Ingrat.

    mercredi 10 novembre 2010

    Premières

    Je suis allé à la plage dimanche avant de partir, et j'ai chopé des puces. C'est une première (et ça pique).

    A Bamako, on a pris un taxi pour aller manger un bout en ville, et sur le chemin du retour celui-ci nous annonce, à 100m de l'hôtel, "Je cw'ois que je vais manquer de ca'buwant". Effectivement, la voiture s'est arrêtée cinq secondes plus tard, tout net. On l'a payé et on est rentrés à pied: c'est une première.

    On vient de se taper trois jours à l'hotel, à attendre un meeting avec un gars qui avait oublié qu'il devait nous rencontrer hier. Le temps qu'il trouve un billet pour nous rejoindre (il est d'ailleurs parti en voiture, au final), on était dans l'avion du retour. C'est aussi une première.

    dimanche 7 novembre 2010

    Plus égal que d'autres

    Arrivés à Bamako, on débarque au Radisson - le seul hôtel qui ne soit pas (encore?) géré par des Libyens, et donc potable. Même les mecs du Sofitel y restent, paraît-il. L'Oncle Bens et moi récupérons nos clefs, et zou on file prendre possession de nos quartiers.

    Première surprise: on m'a upgradé en suite business. Il n'y avait apparemment plus d'autres chambres de libre. L'Oncle Bens, lui, est relégué dans un cagibi de la taille de son lit. Un cagibi luxueux certes, mais quand il voit à quelle enseigne je suis logé il appelle la réception et demande à changer.

    Impossible monsieur, toutes les chambres sont prises. -Et pourquoi avez-vous attribué le surclassement à mon collègue de Galaup plutôt qu'à moi, qui me suis enregistré le premier? -Parce qu'il avait un nom de blanc.

    L'Oncle Bens est rentré dans une colère, euh, noire, et moi je ne savais plus trop où me mettre; du coup, j'ai préféré ne rien dire et aller me coucher (j'aurais aussi pu, par solidarité, lui lâcher ma suite, mais bon il ne faut pas déconner non plus).

    Le Terrou-bi

    Aujourd'hui on part pour le Mali, et pour changer l'avion est annoncé en retard à l'embarquement - 3h, c'est presque une paille, mais c'est assez pour que l'Oncle Bens et moi fassions demi-tour et retrouvions nos cases respectives.

    Il est 15h30, j'ai faim. La Voisine était malade la nuit dernière, du coup le petit-déjeuner a été léger et tardif, des envies de nourritures plus consistantes me prennent. Ca tombe bien, au Sénégal on mange aux alentours de 13h-13h30, mais le dimanche on traîne et se mettre à table à 15h n'est pas inhabituel.

    Je suis dans les temps, j'ai envie de thiéboudiène.

    J'essaie une ou deux gargotes du quartier, sans succès. Les Almadies, avec sa population de toubabs qui semblent parfois ne connaître de la gastronomie locale que le mérou grillé, ne sont pas le meilleur endroit pour se restaurer honnêtement. Mon envie grandit, ma faim aussi - elle devient obsession: je ne veux plus tant découvrir un thieb qu'en manger un, et vite.

    Je mets le cap sur le Terrou-bi.

    Le Terrou-bi (de Terrou, substantif désignant l'accueil, comme dans Teranga, et -bi pour l'article défini qui en wolof se place à la fin), c'est le meilleur hotel de Dakar, point. Cinq étoiles, ambiance tranquille, personnel compétent et, surtout, surtout le restaurant gastronomique qui est la meilleure table de la ville. Bon, ok, le Radisson a une plus jolie piscine, mais leur bouffe ne dépareillerait pas dans un bed&breakfast. Au Terrou-bi, c'est tellement bon qu'on se demande pourquoi on ne paie pas plus cher. En plus, je sais de source sûre que leur restau "normal" (pas le gastro, donc) sert du thieb midi et soir, 7 jours sur 7. La grande classe, je m'y précipite.

    Et je ne suis pas déçu. Tout y est, tout est cuit à la perfection, tous les légumes y sont, le riz est parfait, le poisson excellent. 6'500 CFA certes, mais on a vu plus cher ailleurs et parler d'argent ici est de toute façon complètement déplacé: le jour où je ferai ma finale des meilleurs thiéboudiènes de Dakar, il est entendu que les concurrents ne pourront rêver, au mieux, que de la deuxième place.

    Le Terrou-bi / Restaurant la Fleur de Sel
    Route de la Corniche Ouest
    Tel: 33 839 9039
    Ouvert 7j/7

    jeudi 4 novembre 2010

    Les expates

    Les expates. La trentaine, intelligentes, indépendantes. Une carrière qui roule, elles ont déjà vu du pays, et rarement les endroits les plus tranquilles. Constituant une solide majorité du middle management des ONG et agences onusiennes, ce sont des femmes de caractère, des femmes de tête qui accumulent les contrats précaires (l'ONU n'as pas de sous, les ONG on n'en parle pas) comme les artisans de Soumbedioune accumulent les perles sur leurs colliers moches. Elles sont fortes, elles ont conquis les camps de réfugiés africains, les bidonvilles d'Asie, elles sont prêtes à faire ce qu'il faut, aller là où il le faut dès qu'on le leur demande. Logiquement avec un tel rythme de vie, les expates sont souvent célibataires.

    L'expate n'est qu'à moitié contente d'avoir eu tout ce qu'une Femme moderne pourrait sembler souhaiter, essentiellement parce que la Femme moderne reste soumise à la dictature de son horloge biologique. Soyons honnêtes: combien d'hommes sont prêts à laisser tout tomber pour suivre une fille qui vit de contrats annualisés, bien payés en regard de la situation locale, mais sans plus quand il s'agit de rentrer dans le Premier monde? L'expate cherche donc la seule chose qu'elle ne peut avoir: se caser. 

    On en revient à un monde d'hommes. Ceux-ci, joie d'un certain déterminisme génétique, ont tendance à vouloir sauter (sur) tout ce qui a des nénés. L'expate, à moins d'avoir la quarantaine bien sonnée ou d'être dotée d'un physique de lesbienne des années 90, est plus exigeante: éduquée, il lui faut un homme capable de lui faire la conversation (les locaux, à 40% analphabètes, sont en grande partie hors-jeu) et de préférence pas trop branché polygamie et machisme style années-cinquante-je-me-gratte-les-coucougnettes-en-public-et-je-n'aide-jamais-à-la-maison (les susdits locaux étant là aussi doublement hors-jeu). Avec ces paramètres en tête, on ne s'étonnera plus que le nombre de Sénégalais qui se tapent des blanches soit incroyablement bas.

    C'est une évidence quand on y pense, mais il a quand même fallu que la Voisine me parle de certaines de ses copines ici (éduquées, pleines de caractères, célibataires et visiblement en demande) pour qu'un sentiment diffus devienne une certitude.

    Sous ces tristes tropiques, I'm hot material.

    mardi 2 novembre 2010

    De mieux en pis

    On a enfin emménagé dans nos nouveaux locaux: plus de cafards qui gambadent sur les bureaux, des imprimantes qui marchent, une architecture d'ensemble avec grandes baies vitrées qui ne déparerait pas en Occident.

    Par contre on n'a pas d'électricité, le groupe électrogène est (déjà) en rade. Pas de téléphone non plus. J'utilise le Wi-Fi non sécurisé d'un immeuble voisin pour écrire ce billet, épuisant un peu au passage la très précieuse batterie de mon laptop.

    A part ça il fait beau, hein, il ne faut pas non plus toujours se plaindre.

    lundi 1 novembre 2010

    Le Relais sportif

    Je suis de ceux qui pensent qu'une journée idéale, ça se planifie. Ne serait-ce que pour le plaisir de changer ses plans à la dernière minute et pouvoir se dire que le bonheur, c'est justement de pouvoir faire ce qu'on veut et savoir se libérer d'une vie trop ordonnée. Je cultive mes contradictions avec amour.

    Bref, donc ce lundi 1er novembre, c'est la Toussaint et c'est férié. J'ai la niaque. Levé tôt le matin, je me fait un petit huit kils, j'embraie direct sur une heure de surf, et hop, petit-déjeuner. Je bouquine un peu, c'est déjà midi et là je me dis qu'il faut découvrir la ville, allons manger cap-verdien (il y a plein de Cap-Verdiens au Sénégal).

    Sauf que chez Loutcha, dont on ne m'a dit que du bien, est situé sur le Plateau, que c'est loin, et que sur mon chemin se trouve le Relais sportif. Changement de plan instantané: j'ai envie de thiéboudiène.

    Avec un nom comme ça on pourrait imaginer un sale bar PMU un peu sombre. Eh ben non. La terrasse en bord de mer est tranquille et splendide, et le "riz au poisson" (c'est comme ça qu'il s'appelle sur la carte, j'ai failli ne pas calculer) est, woaw, il est carrément excellent. Pour 2'300 CFA, j'avais l'impression de commettre le hold-up du siècle. Tout était parfait - ce qui incidemment est plutôt une bonne chose dans le cadre d'une journée idéale.

    Autant dire que le Relais sportif est immédiatement qualifié pour la super finale des thiéboudiènes que je compte tenir un jour. En attendant, j'y retournerai avec plaisir.

    Le Relais sportif
    Route de la Corniche, entre le Terrou-bi et la Cour suprême
    Tél: 33 842 20 82
    Ouvert 7j/7

    samedi 30 octobre 2010

    Déphasé

    J'embarque dans l'avion, je suis en nage. Il est 22h50, la température extérieure est de 29°C. Cinq heures plus tard, et c'est trois petits degrés qui nous attendent à Paris. L'air est vif, après une nuit aussi courte et malgré la différence, c'est assez agréable.

    Un court transit et me voici à la maison. Bizarrement, tout me paraît étrangement décalé. Les rues sont propres et lisses - pas de sable, de nids de poules ni d'ordures. Les trois panneaux publicitaires que je croise sur mon chemin présentent la nouvelle saison du théatre et de deux musées - à Dakar, ce serait plutôt des cubes de bouillon, du lait en poudre et une campagne pour la scolarisation des talibés, les enfants mendiants.

    Je vais au supermarché en bas de chez moi faire quelques courses et, dans les allées serrées et débordant de marques dont je ne reconnais plus les emballages multicolores, je me perds.

    Un Roumain mendie en grelottant dans la bise. Il est assis, ne bouge pas et ne regarde pas les gens (qui de toute façon l'ignorent) dans les yeux. Il ne dit rien. Quand je pense aux petits talibés dakarois qui se baladent en groupes de 3 ou 4, âgés d'autant d'années, avec leur boite de tomates en guise de sébille, je me dis qu'il est étonnamment discret.

    C'est l'automne. Les rues sont pleines de gens qui flânent de magasin en magasin. Les arbres virent à l'orange, les filles ont sorti leur habits sombres, leurs cheveux sont longs et blonds, elles sont jolies bien qu'un peu grasses. Je croise un noir, un seul. J'en croiserai un autre le lendemain.

    Les rues ont des noms plutôt que des numéros, mais il faut un code pour rentrer dans mon immeuble. Les bus arrivent toutes les 7 minutes exactement. Les voitures s'arrêtent aux feux, aux passages cloutés (il y a des feux! des passages cloutés!). Tout paraît incroyablement codifié, normalisé.

    Une amie vient dîner ce soir. Je lui prépare un poulet yassa.

    mercredi 27 octobre 2010

    Clarification

    Meeting au GQG. Christine Boutin et son orchestre, dont moi. J'arrive à la bourre -il serait bon de se rappeler qu'ici l'exactitude est la politesse de tout le monde!- et c'est parti pour 10h de meeting en cravate. C'est la première que je porte depuis deux semaines, la troisième sur les quatre derniers mois.

    A la pause, j'intercepte la Grande Cheffe pour lui demander des précisions sur cette conversation un peu surréelle qu'on a eue lors de son passage à Dakar. Ou puis-je aller? -Partout. Pour combien de temps? -Autant qu'il me plaira. Quelles sont les contraintes? - Voir avec Pat Robertson pour lui annoncer la bonne nouvelle de mon retour différé dans son groupe.

    Bon, ben au moins maintenant c'est clair.

    vendredi 22 octobre 2010

    Degué nga toubab?

    En wolof, "parles-tu français?" se traduit littéralement par "parles-tu le blanc?". Être une minorité visible, pour ce que j'en ai vu au Sénégal et plus généralement en Afrique de l'Ouest, ça vient avec ses avantages et ses inconvénients.

    Premier inconvénient: blanc = vache à lait. Il faut négocier comme un animal sur tout, même les légumes au marché parfois. Deuxième inconvénient, côté boulot cette fois, c'est que les locaux, quand ils sont de l'autre côté de la table gouvernementale, ont tendance à vouloir montrer que ceux qui commandent, désormais, c'est eux. La crédibilité d'un toubab est proche de zéro, parce que la crédibilité ici ne se mesure pas aux capacités techniques ou intellectuelles mais au degré de proximité qu'on peut établir avec son interlocuteur: être de la même famille ou ethnie, pouvoir passer du français à la langue vernaculaire, apprendre à gérer les petits signaux propres à la culture locale (l'humour, les salamaleks, le temps extensible par exemple). Et ah, oui, être de la même couleur.

    Mais quand on est blanc on a aussi des avantages: le blanc est bête et se fait régulièrement rouler dans la farine, mais le blanc ne triche pas. Pas comme un africain tricherait en tout cas, c'est à dire en s'essayant par exemple à la petite contrebande. Encore moins s'il porte un costume. C'est comme ça que je passe régulièrement les contrôles douaniers à l'aéroport avec rasoir et liquides en quantité dans le bagage à main, qu'on me fait remarquer sévèrement "que ça va pour cette fois mais attention, hein", alors que dans le même temps tout l'avion se doit de déballer l'entier de son équipement - aucune exception n'est tolérée, au revoir parfums et lots de montres!

    A l'autre bout du spectre de l'attention douanière, on a les Chinois. Le Chinois est industrieux, il est travailleur, il arrive avec la compagnie de travaux publics mais ne repart pas après que le bitume ait séché. Le Chinois s'installe et a tôt fait de voler le travail des commerçants locaux. Même les Libanais commencent à se faire du soucis, c'est dire. Au Mali c'est bien simple, ils sont carrément interdits d'activités de négoce: les restos oui, les épiceries non.

    Le Chinois, quand il s'apprête à prendre l'avion, a également droit à un traitement spécial: on l'entraîne dans une pièce à part et on le met en slip. Parce que sinon le Chinois, ses devises durement gagnées, il les exporte. Et dans une région qui doit compter chaque dollar qui rentre et qui sort, il faut bien reconnaître que ça crispe un peu les gens.

    jeudi 21 octobre 2010

    Les mecs d'en face

    Les mecs d'en face, par définition, sont tous ceux qui ne sont pas de notre côté. Ca fait du monde. Il y a des mecs d'en face dont on a appris à se méfier, d'autres qu'on ignore, d'autres encore avec qui on doit bien travailler, parce que sinon on se sent un peu seuls.

    Un des mecs d'en face est françafricain, j'en ai déjà parlé. D'autres sont anglais, et jusqu'à présent j'en avais une plutôt bonne image: bien élevés, propre sur eux, plutôt sur la même longueur d'onde concernant divers sujets d'actualité. Des gentlemen.

    Et puis la semaine dernière, au détour d'une conversation, ces mecs d'en face-là se sont rendus compte qu'on n'arrosait personne. La stupéfaction était réciproque, vu qu'on pensait que eux non plus. Ils nous ont demandé comment on faisait. On leur a dit qu'on galérait. Ils nous ont demandé si on n'avait même pas au moins un petit budget parfums (les billets pour la Coupe du Monde on n'en parle même pas). Quand là encore on a dit non, ils ont conclu que s'ils devaient appliquer nos critères (on déclare et justifie toutes nos dépenses, rien n'est à discrétion), ils seraient bon pour la prison.

    Je commence à me demander si nous ne sommes pas les seuls à Dakar à ne pas faire dans le discrétionnaire. Vu le nombre d'emmerdes qu'on a, c'est crédible.

    Le problème, en fait, c'est que quand l'arrosage est généralisé, il se transforme en attente. Et celui qui ne participe pas, du coup, fait du sur-place. Sur le long terme on y gagne en bonne réputation et bonne volonté - tout le monde n'est pas corrompu, mais tout le monde sait qui l'est. Sur le court et moyen terme par contre, ce n'est ni plus ni moins que de la pollution: on ne peut faire confiance à personne avec qui on discute, et quand il s'agit d'aborder une discussion technique, sachant que la solution est ailleurs, on a parfois l'impression désagréable de pisser dans un violon.

    mercredi 20 octobre 2010

    Nathalie

    Un truc bizarre mais plaisant que j'ai relevé lorsque j'ai annoncé ma prochaine expatriation, c'est l'effet érotisant -je n'ai pas d'autre mot- que semble avoir l'idée d'Afrique sur la gent féminine. Déjà quand j'ai lâché le morceau au bureau, j'ai eu droit aux petits sourires, aux paupières qui battent plus vite, aux conversations qu'on venait me faire l'air de rien, bref des petits trucs sympas: j'avais soudain l'impression d'avoir le torse couvert de muscles et de poils. Puis sont carrément venus les petits cadeaux, les rencarts que je ne demandais même pas et, perle sur le gateau, Nathalie.

    Nathalie, pour une raison qui m'échappe, s'est refusée à mes occasionnelles avances pendant près de deux ans. Bon ok, elle avait un copain. Mais quand même.

    Venu le jour où j'ai annoncé mon départ terrrriblement aventuresque, la musique a soudainement changé de tempo. Elle m'a accompagné à l'aéroport, crème solaire en main (cadeau) et langoureux baiser d'adieu (bonus). Elle a m'a écrit. Elle a quitté son mec. Quand je suis rentré pour des meetings durant l'été, elle m'a appellé -alors qu'elle n'était pas censée savoir que j'étais de passage- pour me dire que oui, en fait elle aimerait bien passer à la casserole.

    Aussi tôt dit, aussitôt fait. Je suis un homme d'opportunités.

    Et puis je suis reparti sans rien promettre - on en reparle à mon retour, hein, règle déjà tes affaires, tout ça. Et ça n'a pas manqué, elle m'a rappelé un mois plus tard. Alors que je revenais tout juste d'un déplacement, traumatisé par ma première confrontation avec la vraie bonne grosse corruption, elle m'annonce que finalement elle s'était remise avec son Jules - "ça veut probablement dire que je l'aime encore".

    Ben voyons.

    Je n'ai pas osé lui dire que je sortais avec la fille des RH, et que de toute manière et à bien y réfléchir je n'avais aucune intention de la retrouver à mon retour. Que le contraste entre mon expérience africaine et la sienne avec l'Aventurier africain faisait que franchement, ses états d'âme de bourgeoise qui voulait accrocher les couilles d'Indiana Jones à son tableau, je m'en cognais. Je l'ai donc remerciée de m'avoir prévenu, pas-de-problème-je-comprends-c'est-important-que-tu-sois-heureuse, et j'ai raccroché. En plus j'avais méga-faim et mon riz était prêt.

    J'ai réalisé il y a quelques jours qu'elle m'avait "dés-amifié" sur Facebook. Ce n'est décidément pas très élégant.

    mardi 19 octobre 2010

    Faites confiance à ceux qui savent

    "Je n'ai qu'une chose à dire à propos de ton futur Directeur: c'est un fils de pute."

    C'était il y a plus de cinq mois, et dit d'une manière très factuelle. Le Bouledogue, qui gère la maison ici, est en apparence assez sympa, roi du calembour, mais également champion pour utiliser tout ce qui lui est dit contre l'émetteur de l'information.

    L'émetteur Le con, hier, c'était moi.

    Le rendez-vous avec un de nos contacts dans la région s'était bien passé. Seul bémol, pour le bonhomme, c'est qu'il n'a toujours pas rencontré le nouveau patron depuis sa nomination il y a un an. Plus grave, il n'a même pas son numéro de téléphone. Ca peut paraître trivial, mais quand il s'agit d'un homme assez puissant dans son pays et dont on n'arrête pas de lui demander de nous faire profiter de ses connexions, on est aux frontières de l'insulte.

    Du coup, en rentrant, je fais un crochet par le bureau du Bouledogue pour lui dire que notre mission s'étant bien passée, il serait pertinent d'appeler le susnmommé monsieur pour le remercier et, oh, tiens maintenant que j'y pense, lui donner son numéro de téléphone direct. Après tout le gars nous a fait cadeau de sa disponibilité, c'est normal (et pas cher payé) de lui faire symboliquement don de la notre en retour - surtout si on doit lui redemander des trucs dans pas longtemps.

    Le Bouledogue m'a remercié de l'info. Et il est allé direct chez Deng Xiaoping lui dire que je me mêlais de ce qui ne me regarde pas. D'après l'Oncle Bens, il n'a pas aimé être pris en défaut par un moins gradé.

    Conclusion du Chef: "Désormais, tu censures; les infos utiles restent chez nous. D'ailleurs désormais on va faire de la politique. Je viens de nous inscrire en première année."

    lundi 18 octobre 2010

    Sheraton Serrekunda

    Quand on nous a dit qu'il fallait retourner en Gambie, j'ai hésité entre le Kairaba et le Sheraton. Et puis le Sheraton avait ces quelques photos sur leur site:


    Partant, comment pouvait-on être déçus? Eh bien si, on l'a été, un peu. C'est toujours le problème quand les attentes créées sont élevées.

    Le Serrateen, comme on dit dans le pidgin local, se révèle super excentré, genre 40 minutes de Banjul. La bouffe est prévue pour le contingent principal de touristes, à savoir des Anglais qui pensent que le poisson frit, le porridge et le pain mou sont des aliments.

    Ma chambre est très correcte si on fait l'impasse sur la télé qui ne marche pas et la grenouille dans les wécés, mais l'Oncle Bens, en arrivant dans la sienne, se voit souhaiter la bienvenue par Bernard le Cafard. Ses murs (l'Oncle Bens n'a décidément pas de chance), ont des traces d'humidité du sol au plafond (bonus: odeur de moisi renfermé!). Il va donc aller pleurer à la réception pour qu'on le déplace. Et là, miracle: il tombe sur la cuisinière qui passait par là. Elle est sénégalaise. Elle compatit.

    Elle va nous préparer un thiéboudiène.

    Honnêtement, je n'ai pas vraiment de souvenir du thieb (qu'on appelle d'ailleurs benechin ici). Bon poisson, riz un peu trop mouillé d'après l'Oncle. Mais pouvoir savourer un plat maison quand les hordes saxonnes baffrent au buffet où le frit le dispute au bouilli, c'est le grand luxe.

    Sheraton Serrekunda
    Brufut Heights, AU Highway
    PO Box 3311 Serrekunda
    Gambie
    Téléphone: (+220) 4410889
    www.starwoodhotels.com

    vendredi 15 octobre 2010

    Divine surprise

    "Da ministe' wanna talk wiv yo'"

    On me tend un téléphone, une voix au bout de la ligne qui grésille baragouine ce que j'espère être une approbation. La communication est mauvaise, essentiellement parce que depuis 45 minutes qu'on est ici, je comprends à peine 20% du créole que les Gambiens s'évertuent à appeler anglais. Je ponctue de quelques "yessir, thankyouSir" aux moments que j'imagine opportuns, et après quelques secondes je rends le combiné à son propriétaire. On dirait que le rendez-vous à l'air de bien se passer, mais je demanderai quand même son avis à l'Oncle Bens dès qu'on sera sortis.

    En attendant, je comprends plus ou moins que le gars en face est bien d'accord avec nous, qu'effectivement on devrait pouvoir trouver un accord, bla bla bla. Ca me rappelle un peu trop un épisode similaire il y a quelques semaines pour que je ne sois pas méfiant. Et bingo, ça ne manque pas, le gars finit par nous demander des sous... pas pour lui mais pour de véritables programmes de développement!

    J'adore la Gambie. Les gens ne sont pas terriblement efficaces, mais purée qu'est-ce qu'ils sont sympas. Toujours le sourire, super contact. Les taxis demandent systématiquement de boucler la ceinture, et il n'y a presque pas besoin de négocier les prix (quoique ce dernier point doit probablement beaucoup au fait que l'Oncle Bens et moi attaquions directement la négociation en wolof).

    Chaque dernier samedi du mois, en Gambie, la circulation est interdite dans tout le pays jusqu'à midi de manière à ce que chacun puisse s'adonner au cleaning day. Et ça marche: les rues de la ville sont relativement libres de déchets (surtout comparées à Dakar), les plages sont carrément impeccables.

    On reste quand même loin du pays de cocagne, hein: il n'y a presque rien à voir ou à faire à part profiter de la plage, les prix et salaires sont ridiculement bas, le président a apparemment une fâcheuse tendance restée de son époque pré-démocratique (il a gagné les élections organisées après son coup d'état) à mettre les proches devenus trop proches en prison. Mais franchement, rien que sa population en fait un trésor caché de l'Afrique de l'Ouest.

    jeudi 14 octobre 2010

    Voyages voyages

    Coup de fil hier après-midi d'un contact en Gambie: on a un rencart au gouvernement possible samedi matin (les gens travaillent jusqu'au samedi midi, là-bas). Deng Xiaoping reste ici, l'Oncle Bens et moi partons en binôme. Problème: le seul vol aller est aujourd'hui à 16h, et le retour pas avant dimanche. Quatre jours à zoner au Sheraton pour avoir droit à une heure d'entrevue où le gars nous dira à la fin "c'est très bien votre truc, mais on n'a pas le budget".

    J'avais un rencart vendredi, une virée à Saint Louis prévue pour le week-end. Tout passe à la trappe, et ça ne me dérange pas plus que ça. Le costume et le maillot de bain sont dans la valise depuis 7h ce matin, j'ai la niaque.

    Je me rends officiellement compte que j'aime l'idée que toutes mes possessions tiennent dans un sac à dos ou une valise de 40x60x20cm. Je ne me fais toujours pas à l'idée que ce passeport plein d'encres multicolores, c'est le mien.

    J'ai traversé 12 pays sur les 10 derniers mois. C'est plutôt pas mal.

    mercredi 13 octobre 2010

    Et après?

    La visite des Grosses Légumes s'est bien passée. Ils ont aimé les présentations, ils ont compris qu'il ne fallait pas couper notre budget. Le bonus, c'est qu'ils ont également eu droit aux délestages électriques (quatre coupures pour la seule matinée, merci la Senelec) et, super bonus, aux coupures d'eau (avec VP coincé dans les toilettes, du savon sur les mains mais rien pour rincer) en parallèle d'une dernière bonne grosse pluie qui a ruiné la moitié des routes du quartier.

    Ils voulaient du Sénégal, ils en ont eu.

    Et puis le soir il a fallu amener Christine Boutin à l'aéroport , la n+2 qui m'a lancé dans toute cette aventure. Gentleman (et le seul avec une voiture), je m'en charge. On a parlé de tout et rien pendant ces deux jours, et c'est là, à 500m de la porte de départs qu'elle me dit:

    -"Et après décembre, tu veux faire quoi?"

    Marde. Je pensais qu'après l'appel de Pat Robertson, c'était plié et je devais rentrer. Je m'essaie à la réponse diplomatique:

    -"J'avais cru comprendre que Pat Robertson était impatient de me revoir.
    - Oui, il nous l'a dit. Mais le Très-Haut et moi pensons que tu devrais approndir l'expérience.
    - Ce que je veux faire, ça dépend aussi de la place disponible.
    - La place, ça se crée."

    Et puis on est arrivés au parking, quelqu'un l'a prise en charge et elle est partie. Comme ça.

    A vue de nez, j'ai jusqu'en novembre pour me décider.

    mardi 12 octobre 2010

    Yom Kippour

    J'avoue qu'il n'y a pas de quoi être tendre avec Le Citron. Mélange d'égoïsme, d'incompétence et de fainéantise (avec une dose de je-pète-plus-haut-que-mon-cul), Le Citron est à ma connaissance la seule personne envers qui l'Oncle Bens éprouve un mépris certain et continu (bon, il y a aussi le président Wade et son fils, mais au moins on ne partage notre bureau avec).

    Bref, si Le Citron n'est pas assez cité sur ces pages, c'est parce qu'elle fout tellement rien qu'on ne la voit pas assez pour relever ses conneries.

    Sauf que, aujourd'hui, elle nous a invités pour manger un thiéboudiène. Autant dire que tous ses pêchés sont pardonnés, et elle s'est même ouvert une ligne de crédit pour quelques semaines.

    Le truc est énorme, nous sommes six mais il y en a pour douze, et couleur locale oblige il est servi au bol, c'est à dire qu'on pose une grande nappe à terre et tout le monde se sert en commun. Il y a tout ce qu'il faut, comme il faut, et c'est bon.

    Impossible de retourner travailler après ça, mais je m'en fous. Je suis heureux.

    lundi 11 octobre 2010

    Le village Potemkine

    Branle-bas de combat: les Grosses Légumes débarquent, il faut donc faire bonne impression - sortez les cravates.

    On a bossé toute la semaine sur la présentation qui sera donnée ce matin par Deng Xiaoping. Toute la semaine, dimanche inclus. Ce qui signifie également qu'on a pratiquement rien fait d'autre qui viserait à accomplir le boulot pour lequel on est réellement payés: voyages repoussés, journées passées à faire, refaire et relire nos powerpoints. La consigne du Bouledogue, qui étant le patron de l'antenne est stressé pour cinq, est d'ajouter quelques graphiques pour montrer combien c'est compliqué, l'Afrique, et à combien de personnes on doit serrer la main avant que quoi que ce soit ne se mette en branle dans un pays lambda. Il a intérêt à montrer que c'est dur, effectivement, vu que 15% de l'effectif a démissionné depuis qu'il est arrivé il y a 9 mois et que ses résultats sont pour l'instant passablement médiocres.

    Mais bon, ça c'est presque normal, après tout si on a un Président qui débarque pour être informé, autant l'informer (et oui, pour faire bouger un truc dans la région c'est la croix et la bannière). Même si sortir le costume-cravate quand il fait 33°C, c'est dur.

    Là où je deviens plus dubitatif, c'est quand on commence à jouer au village Potemkine:
    • Par exemple en avançant le déménagement de certains bureaux de deux semaines, histoire de montrer que nos nouveaux locaux sont "pratiquement opérationnels" (en dépit des six mois de retard dus aux multiples inondations);
    • Par exemple en sponsorisant les promos dans tous les magasins du quartier que la Grosse Légume va visiter, histoire de lui montrer que ce qu'on fait soulève l'enthousiasme des foules (attention, la promo ne dure que deux heures, le temps que machin arrive et reparte!);
    • Par exemple enfin en tenant les présentations au Radisson plutôt que dans nos vieilles salles décrépites (celles du nouveau bâtiment ne sont pas prêtes).
    Bref tout va bien, tout le monde il est beau, Chef. Plus beau que d'habitude, en tout cas.

    samedi 9 octobre 2010

    Ngor Surfeur

    Samedi matin, surf. Oh yeah. De la bonne houle, marée montante, la plage de Virage et que du bonheur, même si j'ai dû attraper deux vagues en autant d'heures.

    Et comme quand on était petits, après la piscine on a faim. Ca tombe bien parce que le samedi, au Ngor surfeur, c'est thiéboudiène.

    L'emplacement est vraiment parfait. Trois petits restos côte-à-côte dans le seul coin encore vide des Almadies. Une plage sympa, orientée plein ouest (pour les couchers de soleil au bar à tapas d'à côté c'est très bien). Service rapide, mais c'est vrai qu'à part la mascotte locale, on est les seuls.

    Plus important, le thieb est bon. Vraiment bon. Le manioc est un peu dur, mais c'est normal en cette saison, et on s'en fout parce que tout le reste y est (à part du tamarin, dommage). On aurait aussi aimé plus de poisson mais honnêtement, question goût, c'est que du bonheur.

    Ngor surfeur
    Corniche des Almadies, côté opposé au Méridien
    Tel: 338207883 / 77 647 51 62
    http://www.ngorsurfeur.com/
    Ouvert 7/7

    vendredi 8 octobre 2010

    Rappelle-toi d'où tu viens

    J'ai eu ce matin un étrange appel du QG. Pat Robertson, le n+2 de mon ancienne vie (en tout cas celle que j'ai quittée en mai dernier) m'a appelé pour me dire tout le bien qu'il pensait de moi. Et me demander quand je comptais rentrer.

    Je n'ai plus vraiment les détails de la conversation en tête, mais l'impression générale était qu'il cherchait ses mots (pour un mec avec une formation d'avocat, c'est fort) et, surtout, qu'il était vraiment demandeur. On ne s'est pratiquement pas parlés depuis 5 mois, on n'a pas eu l'occasion de bosser ensemble depuis que je suis descendu à Dakar, et tout d'un coup il m'appelle pour me dire que j'ai vraiment progressé, que je suis un élément-clef de son groupe, et qu'il se réjouit que je rentre en janvier. Il a même, m'assure-t-il, parlé au Très-Haut pour lui dire tout le bien qu'il pensait de moi.

    J'ai donc fait la seule chose raisonnable dans ce genre de situation: j'ai dit merci et j'ai demandé une augmentation.

    N'empêche que c'est bizarre. Deux heures plus tard, je suis inclus dans un email de félicitations pour mon ancien/futur groupe qui vient de terminer un monstre projet, projet qui au moment de mon départ venait à peine de débuter. On me crédite donc en toute connaissance de cause pour du boulot que je n'ai pas fait (mon nom est aussi sur le document de couverture, en dernière position certes, mais quand-même). Pat Robertson a également insisté pour que je vienne au team-building qui se tiendra courant décembre dans je ne sais quel palace européen.

    J'y ai réfléchi un bon moment, et la seule conclusion rationnelle que j'aie pu trouver est la suivante: des coupes arrivent, notamment au niveau des consultants (c'est un consultant qui m'a remplacé). Ca veut dire que si je ne reviens pas, Pat Robertson se retrouve avec un poste vide qui ne peut être comblé, et que ça l'emmerde.

    L'autre explication c'est évidemment que je suis le génie qui fait que sans moi, tout le QG semble dépeuplé. Bizarrement, j'ai du mal à le croire.

    Le plat du jour

    Oncle Bens et moi avons la dalle, et pas qu'un peu. Sortis de meeting avec Deng Xiaoping à14h, nous décidons que la seule source d'énergie décente pour le corps et l'esprit, en ce vendredi, est un bon thiéboudiène.

    Nous avons donc appelé tous les restos listés dans un rayon de 5 km pour connaître leur plat du jour.

    Le huitième est le bon: le Sunugal, nous dit son cuisinier, a trois portions de rab'. Ca tombe bien, à nous deux nous sommes affamés pour trois! Je leur demande de préparer un  truc qu'on puisse emporter et hop, je fonce, je récupère la gamelle en alu qu'ils m'ont préparée, et je rentre pronto au bercail pour savourer la Bête devant notre chantier powerpoint.

    C'est à partir de là là que les versions divergent: pour l'Oncle Bens, on m'a clairement servi un thieb de toubab. C'est vrai qu'à 7'000 CFA la portion, il y a largement de quoi froncer le sourcil. Il est également déçu par le riz, un peu mou il est vrai (et les légumes variés mais limite trop cuits). Par contre la quantité est là, et le poisson est bon, ce qui sauve l'essentiel. On lui attribue, au final et après moult négociations, un assez strict 6/10 - essentiellement pour le remercier d'avoir été là dans un moment de détresse.

    Au final: j'ai vu, j'ai goutu, mais je ne pense pas que je reviendru.

    Le Sunugal
    Route de Ngor (derrière le Casino du Cap Vert)
    Tél. : 33 820 0330
    Ouvert 7/7

    mercredi 6 octobre 2010

    Mbarane

    Mon nouveau copain Joachim m'informe doctement que la poule de luxe, à Dakar, coûte 50'000 CFA (75€), mais que si l'on négocie on peut facilement descendre à 10'000. Mais attention, me dit-il, lui n'a jamais eu besoin de payer.

    Par contre, c'est vrai qu'il y a des arrangements.

    La première semaine et gratuite - on apprend à se connaître. Puis, quand la relation se formalise un tant soit peu, il est normal (et attendu) que la femme soit entretenue. On paiera donc pour une robe, le coiffeur, quelques courses ou du mobilier. Joachim, qui semble avoir une certaine expérience (voire une expérience certaine, vu le nombre d'appels reçus dès qu'il a remis les pieds en ville), me confirme que cela touche toutes catégories, de la péripatéticienne à l'universitaire, de la fonctionnaire à la collègue de bureau. Le prix varie non pas tant en fonction des catégories socio-professionnelles que des personnes. Une étudiante sera plus ou moins chère que sa prof, elle-même pouvant être plus ou moins chère à entretenir qu'une des bombasses du casino du Cap Vert.

    Autre particularité locale: la coexistence pacifique de plusieurs râteliers. Un homme pour les sentiments, et deux ou trois pour les cadeaux. Il existe même un mot en wolof pour cela: c'est le mbarane.

    mardi 5 octobre 2010

    Le bateau tangue

    Deng Xiaoping est HS pour la semaine, au lit avec une crise de palu. Côté jardin, les délestages électriques sont devenus si fréquents qu'on a passé la semaine avec des émeutes dans tout le pays - on arrête du coup d'approvisionner les usines pour accommoder les populations, les groupes électrogènes sont poussés à bout et commencent à rendre l'âme à leur tour.

    Le fils du Président a été nommé ministre de l'énergie (en plus de ses trois autres ministères).

    A part ça tout va bien, la saison des pluies semble terminée.

    lundi 4 octobre 2010

    L'Afrique

    Ah, l'Afrique. Ses grands espaces, ses enfants souriants, ses femmes lascives et offertes, ses hommes musclés, avec le sens du rythme et du football. Et puis ses lions, zèbres et zébus. L'Afrique, en tout cas si je regarde la déco du salon de quelques personnes que j'ai connues, est un idéal romantique. Exploitée et vampirisée par le Blanc voire, depuis peu, le Chinois, il suffirait qu'on La libère de ses chaînes pour que L'Afrique prenne son envol. On ne compte d'ailleurs pas les chansons ou slogans qui rêvent d'Afrique - à commencer chez les Africains.

    Foutaises.

    L'UEMOA, l'Union des États francophones ouest-africains, doit sous peu intégrer la CEDEAO, communauté qui regroupe toute la sous-région (francophones et anglophones, + les portugants de Bissau et du Cap-Vert). On tient donc des réunions de travail très sérieuses pour harmoniser institutions et directives, taux de taxation et je ne sais quoi.

    Les Libériens et Sierra Leonais, qui sortent de leurs guerres civiles respectives, ont besoin d'argent et imposent un tarif douanier à l'intérieur d'une zone de libre-échange. Les Nigérians sont d'accord avec toutes les propositions, du moment qu'il s'agit de leurs propositions. La plupart des réunions de travail finissent par être suspendues parce qu'elles tournent au concours de noms d'oiseaux entre francophones et anglophones, entre tout le monde et les Nigérians.

    Les exemples se comptent par centaines, qu'il s'agisse des francs CFA d'Afrique de l'Ouest qui ne sont pas convertibles en CFA d'Afrique centrale, des présidents qui financent la rébellion du voisin ou, plus près de la population, du vote ethnique qui fait qu'on repousse sans cesse les élections en Côte d'Ivoire ou en Guinée: un Malinké ne votera pas pour un Peulh, point barre.

    J'ai lu un excellent bouquin de Ryszard Kapuściński intitulé Ébène: il y explique que la colonisation a trouvé 10'000 royaumes et les a regroupés en 53 pays en moins de 150 ans. Vouloir ajouter une nouvelle couche d'unité, c'est aller un peu vite en besogne.

    Un consultant avec qui je discutais a été beaucoup plus direct: si quelqu'un parle de l'Afrique au singulier, comme d'une seule entité, c'est probablement qu'il n'y a jamais vraiment foutu les pieds.

    samedi 2 octobre 2010

    Le nègre

    Le QG a une idée géniale: on va faire une campagne de presse pour sensibiliser les gens à nos problèmes de toubabs.

    Rappel sommaire et plein de clichés vrais: la presse africaine, pour ce que j'ai vu, n'est pas de la meilleure qualité. Au Sénégal par exemple on trouve difficilement une édition qui ne parle en première page et Grosses Lettres d'un énième scandale de sexe ou corruption, ou de catastrophes naturelles - le tout enveloppé dans du chien écrasé. Le dernier canard béninois que j'ai feuilleté parlait de résurrection des morts en première page (le Bénin est la patrie du vaudou). Une technique bien rodée consiste aussi à sortir 2-3 papiers incendiaires et demander une "participation" au sujet (ONG, entrerprise, agence internationale ou personnalité publique) pour publier un rectificatif.

    Voila pour le contexte. Une presse de mauvaise qualité, qui fait son fond de commerce sur l'émotionnel et tire à boulets rouges sur tout ce qui est blanc et refuse de payer. Autant dire que jusqu'à présent moins on les voyait, mieux on se portait. Le Citron, qui gère la Communication, n'a d'ailleurs jamais parlé à un journaliste de sa vie: mieux vaut se faire accuser d'avoir tué Kennedy une fois tous les trois mois et ne rien dire, que mettre les doigts dans un engrenage pour lequel on n'aura jamais assez de budget et d'avocats.

    Mais le QG insiste, la-campagne-sera-mondiale-c-est-important, ça devient difficile de dire qu'on va rester les bras croisés plutôt que d'encourager quelqu'un à comprendre la moitié de ce qu'on lui explique et nous demander des sous pour cela. Deng Xiaoping et l'Oncle Bens décrochent donc leur téléphone pour appeler des copains journalistes et leur demander de placer des articles pour eux. Pas de problème, ici on peut faire beaucoup de choses (tout, en fait) pour un ami.

    Et c'est comme cela que je suis devenu nègre. J'ai écrit un article, décliné l'objet en trois-quatre variations pas totalement identiques, et ils sont expédiés pronto aux amis susmentionnés. J'avoue être presque flatté du commentaire de l'un de nos contacts: "Présente très bien le sort des paysans africains, prêt à l'emploi" (je suis d'avis qu'il faut toujours placer un paysan africain quelque part). 48h plus tard et ma prose apparaît quasi-inchangée dans six journaux de quatre pays différents.

    Je m'appelle donc Ould, François, Haoua, et La Rédaction.

    Deng ne veut cependant pas que le QG découvre combien c'était facile, ils pourraient revenir à la charge pour nous en demander plus (et on garde peu d'amis si on doit leur demander un service toutes les 2-3 semaines). Il s'est donc arrangé pour que d'autres contacts sur place lui envoient un amical email du genre "Je lisais innocemment la presse ce matin quand je suis tombé sur cet article qui pourrait t'intéresser." On les distillera au cours des prochains jours.

    vendredi 1 octobre 2010

    Fun fact of the day

    Tout le monde sait que Khadafi ne reste jamais vraiment chez ses hôtes, mais plante plutôt sa tente dans leur jardin. Les Mauritaniens ont apparemment refusé en 1988, et il n'y est plus retourné pendant vingt ans.

    Le truc que je ne savais pas, c'est que quand il rend visite à quelqu'un, le Roi des Rois fait venir son personnel (normal) et ses voitures blindées (ce qui se défend), mais aussi sa nourriture. C'est ainsi que pendant le dîner de gala donné pour le cinquantenaire de l'indépendance malienne, on me rapporte qu'il se faisait servir à part des assiettes apportées par ses gens et couvertes d'un papier alu.

    Le moins qu'on puisse dire, c'est que c'est un invité qui ne coûte pas cher.

    jeudi 30 septembre 2010

    Soirée tranquille

    Or doncques, hier c'était relâche, nos rendez-vous étant tous repoussés. Oncle Bens et moi avons dîné dans un restau ivoirien où tout le personnel prétendait être malien (les étrangers qui volent le travail des locaux sont mal vus), puis nous sommes passés dans un bar rempli d'Américains: le chef du renseignement pour la région Mali chantait au karaoké en compagnie de marines, une star de la chanson libanaise (ça doit être vrai, il ressemblait à un proxénète) était aussi présente, et on m'a bien confirmé que les serveuses étaient des putes ukrainiennes (apparemment ici c'est exotique).

    Après cela nous sommes allés en boîte siffler deux bouteilles de Chivas à six personnes, et un gars qui possède la moitié de l'industrie locale a entrepris de m'expliquer le fonctionnement des principaux circuits de contrebande. Très intéressant.

    Il nous a ensuite très gentiment ramenés à l'hotel dans son 4x4 qui fait du 18,3 litres au 100km, et quand des policiers ont essayé de nous arrêter à un barrage pour, selon lui, nous racketter, il a sorti son Beretta et me l'a mis sur les genoux pour, a-t-il expliqué, montrer que ce sont les autres qui s'arrêtent (les policiers comprenant à la vue de l'engin que nous sommes des Personnes Importantes).

    A part ça, rien de spécial.

    Jamais si bien servi que par soi-même

    Le Mali va, pour son cinquantième anniversaire d'indépendance célébré la semaine passée, bientôt transférer tous ses ministres et ministères dans une toute nouvelle "cité administrative". Les bâtiments sont assez chouettes, pas trop mal placés, et surtout ils sont cadeaux: c'est le leader éclairé de la Libye qui régale.

    Du coup, pourquoi se priver, le quartier où travaillera le gouvernement malien s'appellera "Cité administrative Mohammar el-Khadafi" - on n'est jamais si bien servi que par soi-même.

    Je sais tout cela parce que mon hôtel, en fait, est situé juste en face. C'est un hotel libyen, cette fois de la chaîne Azadi - tous les hotels de la ville sont libyens, d'ailleurs. Je ne me suis pas encore risqué à gouter la nourriture locale - Oncle Bens et moi préférons voir dehors si nous y sommes: il n'avait hier soir pas d'électricité dans sa chambre, et moi pas de serviettes (c'est pourtant un cinq étoiles).

    D'après ce que l'on nous a expliqué, les Libyens investissent l'argent qu'ils ont visiblement en trop pour avoir un levier politique, mais ne font que le minimum pour assurer l'assise, les bénéfices étant générés ailleurs: le dividende, dans le cas présent, c'est que désormais plusieurs milliers d'hectares de terres arables de la vallée du Niger sont la propriété de la République arabe socialiste.

    lundi 27 septembre 2010

    Excuse béton

    Le Citron nous fait ces temps une crise de flemmingite aiguë. Dernière arrivée, première partie, deux semaines pour rendre un powerpoint de trois pages où sont jetées quatre malheureuses idées - j'en connais une qui se donne à fond pour son boulot. J'en ai même tiré un théorème essentiel: plus la réponse à une question fermée (i.e. "oui/non") est longue et compliquée, moins le travail a de chance d'avoir été effectué.

    A sa décharge, il faut bien dire qu'elle gère un tout petit truc et qu'on n'a pas trop le temps de s'occuper d'elle. D'un autre côté, vu son grade elle est censé savoir s'occuper toute seule. Bref.

    Vendredi son fils était malade, elle n'a donc pas pu venir travailler (je précise: elle emploie une nounou). Ce matin, c'est la voiture qui ne voulait pas démarrer. Elle nous a donc appelé pour nous en informer, et préciser qu'elle passerait au bureau après être allée chez le coiffeur.

    La question qu'on n'a pas osé poser, sachant que ledit coiffeur est à 100m du bureau, c'est comment elle comptait y aller.

    mercredi 22 septembre 2010

    Le père Noël a trois mois d'avance

    "On m'a demandé de vous faire savoir que désormais nous arrêterions de payer des membres du gouvernement".

    Quand le Françafricain nous a dit ça, on n'a pas répondu. En fait, on n'a même pas cru ce qu'on avait entendu - il a fallu un meeting après le meeting pour s'assurer que tous ceux présents avaient bien compris la même chose.

    Visiblement il y a eu du ménage à Paris et les secousses se font sentir jusqu'ici. Le nouveau chef n'est pas commode et, surtout, n'aime pas jouer avec le feu.

    Bon, on ne sait pas si ça va durer, mais on ne va pas bouder notre plaisir. Par contre, je me demande comment les gars qu'il avait l'habitude d'arroser vont réagir.

    lundi 20 septembre 2010

    Laico

    Un portrait du leader de la Révolution arabe socialiste (ou un truc dans le genre) trône dans l'entrée, derrière le bureau d'accueil. L'hotel paraît assez classe avec son grand hall de marbre, les capitaux sont libyens.

    Le service est lent. Au petit-déjeuner, les vingt tables ne sont que difficilement débarassées par la demi-douzaine d'employés - et ce n'est pas comme s'il y avait affluence de clients qui, de toute façon, se servent eux-mêmes au buffet. Il faut lancer une fusée de détresse pour attirer l'attention d'un serveur et avoir du café. Certains services ont des cuillers, aucun n'a de serviette. Autant dire que j'ai eu de meilleurs propositions dans des auberges de jeunesse (qui elles, pour le coup, étaient bien au-dessus de la moyenne) pour un prix bien inférieur.

    Après deux jours à Ouaga, j'ai gouté les classiques: pintade et agouti. Alors qu'on zone à midi dans le restau de l'hotel, un élément de la carte me fait hausser le sourcil et me met l'eau à la bouche:

    Ils servent du Thiéboudiène.

    Bon, ok, qu'espérer comme plat de poisson dans un pays enclavé, et qui plus est dans cet hotel-ci? Je n'en sais fichtre rien. Mais je sais que je n'ai pas eu de thieb depuis un bail, et que j'ai faim. Ni une ni deux, je commande.

    Je ne suis pas déçu. Mais je ne suis pas ravi. Peu de légumes, poisson plein d'arrêtes, riz bon. Bref, c'est moyen sans plus, un peu comme manger exotique un peu partout dans le monde: ça ressemble à l'original, mais cela en reste loin.

    Et en plus, Garçon, il y a un boulon dans ma tasse à sucre.

    Hotel Laico Ouaga 2000
    Ouagadougou, Burkina Faso
    http://www.laicohotels.com