samedi 30 octobre 2010

Déphasé

J'embarque dans l'avion, je suis en nage. Il est 22h50, la température extérieure est de 29°C. Cinq heures plus tard, et c'est trois petits degrés qui nous attendent à Paris. L'air est vif, après une nuit aussi courte et malgré la différence, c'est assez agréable.

Un court transit et me voici à la maison. Bizarrement, tout me paraît étrangement décalé. Les rues sont propres et lisses - pas de sable, de nids de poules ni d'ordures. Les trois panneaux publicitaires que je croise sur mon chemin présentent la nouvelle saison du théatre et de deux musées - à Dakar, ce serait plutôt des cubes de bouillon, du lait en poudre et une campagne pour la scolarisation des talibés, les enfants mendiants.

Je vais au supermarché en bas de chez moi faire quelques courses et, dans les allées serrées et débordant de marques dont je ne reconnais plus les emballages multicolores, je me perds.

Un Roumain mendie en grelottant dans la bise. Il est assis, ne bouge pas et ne regarde pas les gens (qui de toute façon l'ignorent) dans les yeux. Il ne dit rien. Quand je pense aux petits talibés dakarois qui se baladent en groupes de 3 ou 4, âgés d'autant d'années, avec leur boite de tomates en guise de sébille, je me dis qu'il est étonnamment discret.

C'est l'automne. Les rues sont pleines de gens qui flânent de magasin en magasin. Les arbres virent à l'orange, les filles ont sorti leur habits sombres, leurs cheveux sont longs et blonds, elles sont jolies bien qu'un peu grasses. Je croise un noir, un seul. J'en croiserai un autre le lendemain.

Les rues ont des noms plutôt que des numéros, mais il faut un code pour rentrer dans mon immeuble. Les bus arrivent toutes les 7 minutes exactement. Les voitures s'arrêtent aux feux, aux passages cloutés (il y a des feux! des passages cloutés!). Tout paraît incroyablement codifié, normalisé.

Une amie vient dîner ce soir. Je lui prépare un poulet yassa.

mercredi 27 octobre 2010

Clarification

Meeting au GQG. Christine Boutin et son orchestre, dont moi. J'arrive à la bourre -il serait bon de se rappeler qu'ici l'exactitude est la politesse de tout le monde!- et c'est parti pour 10h de meeting en cravate. C'est la première que je porte depuis deux semaines, la troisième sur les quatre derniers mois.

A la pause, j'intercepte la Grande Cheffe pour lui demander des précisions sur cette conversation un peu surréelle qu'on a eue lors de son passage à Dakar. Ou puis-je aller? -Partout. Pour combien de temps? -Autant qu'il me plaira. Quelles sont les contraintes? - Voir avec Pat Robertson pour lui annoncer la bonne nouvelle de mon retour différé dans son groupe.

Bon, ben au moins maintenant c'est clair.

vendredi 22 octobre 2010

Degué nga toubab?

En wolof, "parles-tu français?" se traduit littéralement par "parles-tu le blanc?". Être une minorité visible, pour ce que j'en ai vu au Sénégal et plus généralement en Afrique de l'Ouest, ça vient avec ses avantages et ses inconvénients.

Premier inconvénient: blanc = vache à lait. Il faut négocier comme un animal sur tout, même les légumes au marché parfois. Deuxième inconvénient, côté boulot cette fois, c'est que les locaux, quand ils sont de l'autre côté de la table gouvernementale, ont tendance à vouloir montrer que ceux qui commandent, désormais, c'est eux. La crédibilité d'un toubab est proche de zéro, parce que la crédibilité ici ne se mesure pas aux capacités techniques ou intellectuelles mais au degré de proximité qu'on peut établir avec son interlocuteur: être de la même famille ou ethnie, pouvoir passer du français à la langue vernaculaire, apprendre à gérer les petits signaux propres à la culture locale (l'humour, les salamaleks, le temps extensible par exemple). Et ah, oui, être de la même couleur.

Mais quand on est blanc on a aussi des avantages: le blanc est bête et se fait régulièrement rouler dans la farine, mais le blanc ne triche pas. Pas comme un africain tricherait en tout cas, c'est à dire en s'essayant par exemple à la petite contrebande. Encore moins s'il porte un costume. C'est comme ça que je passe régulièrement les contrôles douaniers à l'aéroport avec rasoir et liquides en quantité dans le bagage à main, qu'on me fait remarquer sévèrement "que ça va pour cette fois mais attention, hein", alors que dans le même temps tout l'avion se doit de déballer l'entier de son équipement - aucune exception n'est tolérée, au revoir parfums et lots de montres!

A l'autre bout du spectre de l'attention douanière, on a les Chinois. Le Chinois est industrieux, il est travailleur, il arrive avec la compagnie de travaux publics mais ne repart pas après que le bitume ait séché. Le Chinois s'installe et a tôt fait de voler le travail des commerçants locaux. Même les Libanais commencent à se faire du soucis, c'est dire. Au Mali c'est bien simple, ils sont carrément interdits d'activités de négoce: les restos oui, les épiceries non.

Le Chinois, quand il s'apprête à prendre l'avion, a également droit à un traitement spécial: on l'entraîne dans une pièce à part et on le met en slip. Parce que sinon le Chinois, ses devises durement gagnées, il les exporte. Et dans une région qui doit compter chaque dollar qui rentre et qui sort, il faut bien reconnaître que ça crispe un peu les gens.

jeudi 21 octobre 2010

Les mecs d'en face

Les mecs d'en face, par définition, sont tous ceux qui ne sont pas de notre côté. Ca fait du monde. Il y a des mecs d'en face dont on a appris à se méfier, d'autres qu'on ignore, d'autres encore avec qui on doit bien travailler, parce que sinon on se sent un peu seuls.

Un des mecs d'en face est françafricain, j'en ai déjà parlé. D'autres sont anglais, et jusqu'à présent j'en avais une plutôt bonne image: bien élevés, propre sur eux, plutôt sur la même longueur d'onde concernant divers sujets d'actualité. Des gentlemen.

Et puis la semaine dernière, au détour d'une conversation, ces mecs d'en face-là se sont rendus compte qu'on n'arrosait personne. La stupéfaction était réciproque, vu qu'on pensait que eux non plus. Ils nous ont demandé comment on faisait. On leur a dit qu'on galérait. Ils nous ont demandé si on n'avait même pas au moins un petit budget parfums (les billets pour la Coupe du Monde on n'en parle même pas). Quand là encore on a dit non, ils ont conclu que s'ils devaient appliquer nos critères (on déclare et justifie toutes nos dépenses, rien n'est à discrétion), ils seraient bon pour la prison.

Je commence à me demander si nous ne sommes pas les seuls à Dakar à ne pas faire dans le discrétionnaire. Vu le nombre d'emmerdes qu'on a, c'est crédible.

Le problème, en fait, c'est que quand l'arrosage est généralisé, il se transforme en attente. Et celui qui ne participe pas, du coup, fait du sur-place. Sur le long terme on y gagne en bonne réputation et bonne volonté - tout le monde n'est pas corrompu, mais tout le monde sait qui l'est. Sur le court et moyen terme par contre, ce n'est ni plus ni moins que de la pollution: on ne peut faire confiance à personne avec qui on discute, et quand il s'agit d'aborder une discussion technique, sachant que la solution est ailleurs, on a parfois l'impression désagréable de pisser dans un violon.

mercredi 20 octobre 2010

Nathalie

Un truc bizarre mais plaisant que j'ai relevé lorsque j'ai annoncé ma prochaine expatriation, c'est l'effet érotisant -je n'ai pas d'autre mot- que semble avoir l'idée d'Afrique sur la gent féminine. Déjà quand j'ai lâché le morceau au bureau, j'ai eu droit aux petits sourires, aux paupières qui battent plus vite, aux conversations qu'on venait me faire l'air de rien, bref des petits trucs sympas: j'avais soudain l'impression d'avoir le torse couvert de muscles et de poils. Puis sont carrément venus les petits cadeaux, les rencarts que je ne demandais même pas et, perle sur le gateau, Nathalie.

Nathalie, pour une raison qui m'échappe, s'est refusée à mes occasionnelles avances pendant près de deux ans. Bon ok, elle avait un copain. Mais quand même.

Venu le jour où j'ai annoncé mon départ terrrriblement aventuresque, la musique a soudainement changé de tempo. Elle m'a accompagné à l'aéroport, crème solaire en main (cadeau) et langoureux baiser d'adieu (bonus). Elle a m'a écrit. Elle a quitté son mec. Quand je suis rentré pour des meetings durant l'été, elle m'a appellé -alors qu'elle n'était pas censée savoir que j'étais de passage- pour me dire que oui, en fait elle aimerait bien passer à la casserole.

Aussi tôt dit, aussitôt fait. Je suis un homme d'opportunités.

Et puis je suis reparti sans rien promettre - on en reparle à mon retour, hein, règle déjà tes affaires, tout ça. Et ça n'a pas manqué, elle m'a rappelé un mois plus tard. Alors que je revenais tout juste d'un déplacement, traumatisé par ma première confrontation avec la vraie bonne grosse corruption, elle m'annonce que finalement elle s'était remise avec son Jules - "ça veut probablement dire que je l'aime encore".

Ben voyons.

Je n'ai pas osé lui dire que je sortais avec la fille des RH, et que de toute manière et à bien y réfléchir je n'avais aucune intention de la retrouver à mon retour. Que le contraste entre mon expérience africaine et la sienne avec l'Aventurier africain faisait que franchement, ses états d'âme de bourgeoise qui voulait accrocher les couilles d'Indiana Jones à son tableau, je m'en cognais. Je l'ai donc remerciée de m'avoir prévenu, pas-de-problème-je-comprends-c'est-important-que-tu-sois-heureuse, et j'ai raccroché. En plus j'avais méga-faim et mon riz était prêt.

J'ai réalisé il y a quelques jours qu'elle m'avait "dés-amifié" sur Facebook. Ce n'est décidément pas très élégant.

mardi 19 octobre 2010

Faites confiance à ceux qui savent

"Je n'ai qu'une chose à dire à propos de ton futur Directeur: c'est un fils de pute."

C'était il y a plus de cinq mois, et dit d'une manière très factuelle. Le Bouledogue, qui gère la maison ici, est en apparence assez sympa, roi du calembour, mais également champion pour utiliser tout ce qui lui est dit contre l'émetteur de l'information.

L'émetteur Le con, hier, c'était moi.

Le rendez-vous avec un de nos contacts dans la région s'était bien passé. Seul bémol, pour le bonhomme, c'est qu'il n'a toujours pas rencontré le nouveau patron depuis sa nomination il y a un an. Plus grave, il n'a même pas son numéro de téléphone. Ca peut paraître trivial, mais quand il s'agit d'un homme assez puissant dans son pays et dont on n'arrête pas de lui demander de nous faire profiter de ses connexions, on est aux frontières de l'insulte.

Du coup, en rentrant, je fais un crochet par le bureau du Bouledogue pour lui dire que notre mission s'étant bien passée, il serait pertinent d'appeler le susnmommé monsieur pour le remercier et, oh, tiens maintenant que j'y pense, lui donner son numéro de téléphone direct. Après tout le gars nous a fait cadeau de sa disponibilité, c'est normal (et pas cher payé) de lui faire symboliquement don de la notre en retour - surtout si on doit lui redemander des trucs dans pas longtemps.

Le Bouledogue m'a remercié de l'info. Et il est allé direct chez Deng Xiaoping lui dire que je me mêlais de ce qui ne me regarde pas. D'après l'Oncle Bens, il n'a pas aimé être pris en défaut par un moins gradé.

Conclusion du Chef: "Désormais, tu censures; les infos utiles restent chez nous. D'ailleurs désormais on va faire de la politique. Je viens de nous inscrire en première année."

lundi 18 octobre 2010

Sheraton Serrekunda

Quand on nous a dit qu'il fallait retourner en Gambie, j'ai hésité entre le Kairaba et le Sheraton. Et puis le Sheraton avait ces quelques photos sur leur site:


Partant, comment pouvait-on être déçus? Eh bien si, on l'a été, un peu. C'est toujours le problème quand les attentes créées sont élevées.

Le Serrateen, comme on dit dans le pidgin local, se révèle super excentré, genre 40 minutes de Banjul. La bouffe est prévue pour le contingent principal de touristes, à savoir des Anglais qui pensent que le poisson frit, le porridge et le pain mou sont des aliments.

Ma chambre est très correcte si on fait l'impasse sur la télé qui ne marche pas et la grenouille dans les wécés, mais l'Oncle Bens, en arrivant dans la sienne, se voit souhaiter la bienvenue par Bernard le Cafard. Ses murs (l'Oncle Bens n'a décidément pas de chance), ont des traces d'humidité du sol au plafond (bonus: odeur de moisi renfermé!). Il va donc aller pleurer à la réception pour qu'on le déplace. Et là, miracle: il tombe sur la cuisinière qui passait par là. Elle est sénégalaise. Elle compatit.

Elle va nous préparer un thiéboudiène.

Honnêtement, je n'ai pas vraiment de souvenir du thieb (qu'on appelle d'ailleurs benechin ici). Bon poisson, riz un peu trop mouillé d'après l'Oncle. Mais pouvoir savourer un plat maison quand les hordes saxonnes baffrent au buffet où le frit le dispute au bouilli, c'est le grand luxe.

Sheraton Serrekunda
Brufut Heights, AU Highway
PO Box 3311 Serrekunda
Gambie
Téléphone: (+220) 4410889
www.starwoodhotels.com

vendredi 15 octobre 2010

Divine surprise

"Da ministe' wanna talk wiv yo'"

On me tend un téléphone, une voix au bout de la ligne qui grésille baragouine ce que j'espère être une approbation. La communication est mauvaise, essentiellement parce que depuis 45 minutes qu'on est ici, je comprends à peine 20% du créole que les Gambiens s'évertuent à appeler anglais. Je ponctue de quelques "yessir, thankyouSir" aux moments que j'imagine opportuns, et après quelques secondes je rends le combiné à son propriétaire. On dirait que le rendez-vous à l'air de bien se passer, mais je demanderai quand même son avis à l'Oncle Bens dès qu'on sera sortis.

En attendant, je comprends plus ou moins que le gars en face est bien d'accord avec nous, qu'effectivement on devrait pouvoir trouver un accord, bla bla bla. Ca me rappelle un peu trop un épisode similaire il y a quelques semaines pour que je ne sois pas méfiant. Et bingo, ça ne manque pas, le gars finit par nous demander des sous... pas pour lui mais pour de véritables programmes de développement!

J'adore la Gambie. Les gens ne sont pas terriblement efficaces, mais purée qu'est-ce qu'ils sont sympas. Toujours le sourire, super contact. Les taxis demandent systématiquement de boucler la ceinture, et il n'y a presque pas besoin de négocier les prix (quoique ce dernier point doit probablement beaucoup au fait que l'Oncle Bens et moi attaquions directement la négociation en wolof).

Chaque dernier samedi du mois, en Gambie, la circulation est interdite dans tout le pays jusqu'à midi de manière à ce que chacun puisse s'adonner au cleaning day. Et ça marche: les rues de la ville sont relativement libres de déchets (surtout comparées à Dakar), les plages sont carrément impeccables.

On reste quand même loin du pays de cocagne, hein: il n'y a presque rien à voir ou à faire à part profiter de la plage, les prix et salaires sont ridiculement bas, le président a apparemment une fâcheuse tendance restée de son époque pré-démocratique (il a gagné les élections organisées après son coup d'état) à mettre les proches devenus trop proches en prison. Mais franchement, rien que sa population en fait un trésor caché de l'Afrique de l'Ouest.

jeudi 14 octobre 2010

Voyages voyages

Coup de fil hier après-midi d'un contact en Gambie: on a un rencart au gouvernement possible samedi matin (les gens travaillent jusqu'au samedi midi, là-bas). Deng Xiaoping reste ici, l'Oncle Bens et moi partons en binôme. Problème: le seul vol aller est aujourd'hui à 16h, et le retour pas avant dimanche. Quatre jours à zoner au Sheraton pour avoir droit à une heure d'entrevue où le gars nous dira à la fin "c'est très bien votre truc, mais on n'a pas le budget".

J'avais un rencart vendredi, une virée à Saint Louis prévue pour le week-end. Tout passe à la trappe, et ça ne me dérange pas plus que ça. Le costume et le maillot de bain sont dans la valise depuis 7h ce matin, j'ai la niaque.

Je me rends officiellement compte que j'aime l'idée que toutes mes possessions tiennent dans un sac à dos ou une valise de 40x60x20cm. Je ne me fais toujours pas à l'idée que ce passeport plein d'encres multicolores, c'est le mien.

J'ai traversé 12 pays sur les 10 derniers mois. C'est plutôt pas mal.

mercredi 13 octobre 2010

Et après?

La visite des Grosses Légumes s'est bien passée. Ils ont aimé les présentations, ils ont compris qu'il ne fallait pas couper notre budget. Le bonus, c'est qu'ils ont également eu droit aux délestages électriques (quatre coupures pour la seule matinée, merci la Senelec) et, super bonus, aux coupures d'eau (avec VP coincé dans les toilettes, du savon sur les mains mais rien pour rincer) en parallèle d'une dernière bonne grosse pluie qui a ruiné la moitié des routes du quartier.

Ils voulaient du Sénégal, ils en ont eu.

Et puis le soir il a fallu amener Christine Boutin à l'aéroport , la n+2 qui m'a lancé dans toute cette aventure. Gentleman (et le seul avec une voiture), je m'en charge. On a parlé de tout et rien pendant ces deux jours, et c'est là, à 500m de la porte de départs qu'elle me dit:

-"Et après décembre, tu veux faire quoi?"

Marde. Je pensais qu'après l'appel de Pat Robertson, c'était plié et je devais rentrer. Je m'essaie à la réponse diplomatique:

-"J'avais cru comprendre que Pat Robertson était impatient de me revoir.
- Oui, il nous l'a dit. Mais le Très-Haut et moi pensons que tu devrais approndir l'expérience.
- Ce que je veux faire, ça dépend aussi de la place disponible.
- La place, ça se crée."

Et puis on est arrivés au parking, quelqu'un l'a prise en charge et elle est partie. Comme ça.

A vue de nez, j'ai jusqu'en novembre pour me décider.

mardi 12 octobre 2010

Yom Kippour

J'avoue qu'il n'y a pas de quoi être tendre avec Le Citron. Mélange d'égoïsme, d'incompétence et de fainéantise (avec une dose de je-pète-plus-haut-que-mon-cul), Le Citron est à ma connaissance la seule personne envers qui l'Oncle Bens éprouve un mépris certain et continu (bon, il y a aussi le président Wade et son fils, mais au moins on ne partage notre bureau avec).

Bref, si Le Citron n'est pas assez cité sur ces pages, c'est parce qu'elle fout tellement rien qu'on ne la voit pas assez pour relever ses conneries.

Sauf que, aujourd'hui, elle nous a invités pour manger un thiéboudiène. Autant dire que tous ses pêchés sont pardonnés, et elle s'est même ouvert une ligne de crédit pour quelques semaines.

Le truc est énorme, nous sommes six mais il y en a pour douze, et couleur locale oblige il est servi au bol, c'est à dire qu'on pose une grande nappe à terre et tout le monde se sert en commun. Il y a tout ce qu'il faut, comme il faut, et c'est bon.

Impossible de retourner travailler après ça, mais je m'en fous. Je suis heureux.

lundi 11 octobre 2010

Le village Potemkine

Branle-bas de combat: les Grosses Légumes débarquent, il faut donc faire bonne impression - sortez les cravates.

On a bossé toute la semaine sur la présentation qui sera donnée ce matin par Deng Xiaoping. Toute la semaine, dimanche inclus. Ce qui signifie également qu'on a pratiquement rien fait d'autre qui viserait à accomplir le boulot pour lequel on est réellement payés: voyages repoussés, journées passées à faire, refaire et relire nos powerpoints. La consigne du Bouledogue, qui étant le patron de l'antenne est stressé pour cinq, est d'ajouter quelques graphiques pour montrer combien c'est compliqué, l'Afrique, et à combien de personnes on doit serrer la main avant que quoi que ce soit ne se mette en branle dans un pays lambda. Il a intérêt à montrer que c'est dur, effectivement, vu que 15% de l'effectif a démissionné depuis qu'il est arrivé il y a 9 mois et que ses résultats sont pour l'instant passablement médiocres.

Mais bon, ça c'est presque normal, après tout si on a un Président qui débarque pour être informé, autant l'informer (et oui, pour faire bouger un truc dans la région c'est la croix et la bannière). Même si sortir le costume-cravate quand il fait 33°C, c'est dur.

Là où je deviens plus dubitatif, c'est quand on commence à jouer au village Potemkine:
  • Par exemple en avançant le déménagement de certains bureaux de deux semaines, histoire de montrer que nos nouveaux locaux sont "pratiquement opérationnels" (en dépit des six mois de retard dus aux multiples inondations);
  • Par exemple en sponsorisant les promos dans tous les magasins du quartier que la Grosse Légume va visiter, histoire de lui montrer que ce qu'on fait soulève l'enthousiasme des foules (attention, la promo ne dure que deux heures, le temps que machin arrive et reparte!);
  • Par exemple enfin en tenant les présentations au Radisson plutôt que dans nos vieilles salles décrépites (celles du nouveau bâtiment ne sont pas prêtes).
Bref tout va bien, tout le monde il est beau, Chef. Plus beau que d'habitude, en tout cas.

samedi 9 octobre 2010

Ngor Surfeur

Samedi matin, surf. Oh yeah. De la bonne houle, marée montante, la plage de Virage et que du bonheur, même si j'ai dû attraper deux vagues en autant d'heures.

Et comme quand on était petits, après la piscine on a faim. Ca tombe bien parce que le samedi, au Ngor surfeur, c'est thiéboudiène.

L'emplacement est vraiment parfait. Trois petits restos côte-à-côte dans le seul coin encore vide des Almadies. Une plage sympa, orientée plein ouest (pour les couchers de soleil au bar à tapas d'à côté c'est très bien). Service rapide, mais c'est vrai qu'à part la mascotte locale, on est les seuls.

Plus important, le thieb est bon. Vraiment bon. Le manioc est un peu dur, mais c'est normal en cette saison, et on s'en fout parce que tout le reste y est (à part du tamarin, dommage). On aurait aussi aimé plus de poisson mais honnêtement, question goût, c'est que du bonheur.

Ngor surfeur
Corniche des Almadies, côté opposé au Méridien
Tel: 338207883 / 77 647 51 62
http://www.ngorsurfeur.com/
Ouvert 7/7

vendredi 8 octobre 2010

Rappelle-toi d'où tu viens

J'ai eu ce matin un étrange appel du QG. Pat Robertson, le n+2 de mon ancienne vie (en tout cas celle que j'ai quittée en mai dernier) m'a appelé pour me dire tout le bien qu'il pensait de moi. Et me demander quand je comptais rentrer.

Je n'ai plus vraiment les détails de la conversation en tête, mais l'impression générale était qu'il cherchait ses mots (pour un mec avec une formation d'avocat, c'est fort) et, surtout, qu'il était vraiment demandeur. On ne s'est pratiquement pas parlés depuis 5 mois, on n'a pas eu l'occasion de bosser ensemble depuis que je suis descendu à Dakar, et tout d'un coup il m'appelle pour me dire que j'ai vraiment progressé, que je suis un élément-clef de son groupe, et qu'il se réjouit que je rentre en janvier. Il a même, m'assure-t-il, parlé au Très-Haut pour lui dire tout le bien qu'il pensait de moi.

J'ai donc fait la seule chose raisonnable dans ce genre de situation: j'ai dit merci et j'ai demandé une augmentation.

N'empêche que c'est bizarre. Deux heures plus tard, je suis inclus dans un email de félicitations pour mon ancien/futur groupe qui vient de terminer un monstre projet, projet qui au moment de mon départ venait à peine de débuter. On me crédite donc en toute connaissance de cause pour du boulot que je n'ai pas fait (mon nom est aussi sur le document de couverture, en dernière position certes, mais quand-même). Pat Robertson a également insisté pour que je vienne au team-building qui se tiendra courant décembre dans je ne sais quel palace européen.

J'y ai réfléchi un bon moment, et la seule conclusion rationnelle que j'aie pu trouver est la suivante: des coupes arrivent, notamment au niveau des consultants (c'est un consultant qui m'a remplacé). Ca veut dire que si je ne reviens pas, Pat Robertson se retrouve avec un poste vide qui ne peut être comblé, et que ça l'emmerde.

L'autre explication c'est évidemment que je suis le génie qui fait que sans moi, tout le QG semble dépeuplé. Bizarrement, j'ai du mal à le croire.

Le plat du jour

Oncle Bens et moi avons la dalle, et pas qu'un peu. Sortis de meeting avec Deng Xiaoping à14h, nous décidons que la seule source d'énergie décente pour le corps et l'esprit, en ce vendredi, est un bon thiéboudiène.

Nous avons donc appelé tous les restos listés dans un rayon de 5 km pour connaître leur plat du jour.

Le huitième est le bon: le Sunugal, nous dit son cuisinier, a trois portions de rab'. Ca tombe bien, à nous deux nous sommes affamés pour trois! Je leur demande de préparer un  truc qu'on puisse emporter et hop, je fonce, je récupère la gamelle en alu qu'ils m'ont préparée, et je rentre pronto au bercail pour savourer la Bête devant notre chantier powerpoint.

C'est à partir de là là que les versions divergent: pour l'Oncle Bens, on m'a clairement servi un thieb de toubab. C'est vrai qu'à 7'000 CFA la portion, il y a largement de quoi froncer le sourcil. Il est également déçu par le riz, un peu mou il est vrai (et les légumes variés mais limite trop cuits). Par contre la quantité est là, et le poisson est bon, ce qui sauve l'essentiel. On lui attribue, au final et après moult négociations, un assez strict 6/10 - essentiellement pour le remercier d'avoir été là dans un moment de détresse.

Au final: j'ai vu, j'ai goutu, mais je ne pense pas que je reviendru.

Le Sunugal
Route de Ngor (derrière le Casino du Cap Vert)
Tél. : 33 820 0330
Ouvert 7/7

mercredi 6 octobre 2010

Mbarane

Mon nouveau copain Joachim m'informe doctement que la poule de luxe, à Dakar, coûte 50'000 CFA (75€), mais que si l'on négocie on peut facilement descendre à 10'000. Mais attention, me dit-il, lui n'a jamais eu besoin de payer.

Par contre, c'est vrai qu'il y a des arrangements.

La première semaine et gratuite - on apprend à se connaître. Puis, quand la relation se formalise un tant soit peu, il est normal (et attendu) que la femme soit entretenue. On paiera donc pour une robe, le coiffeur, quelques courses ou du mobilier. Joachim, qui semble avoir une certaine expérience (voire une expérience certaine, vu le nombre d'appels reçus dès qu'il a remis les pieds en ville), me confirme que cela touche toutes catégories, de la péripatéticienne à l'universitaire, de la fonctionnaire à la collègue de bureau. Le prix varie non pas tant en fonction des catégories socio-professionnelles que des personnes. Une étudiante sera plus ou moins chère que sa prof, elle-même pouvant être plus ou moins chère à entretenir qu'une des bombasses du casino du Cap Vert.

Autre particularité locale: la coexistence pacifique de plusieurs râteliers. Un homme pour les sentiments, et deux ou trois pour les cadeaux. Il existe même un mot en wolof pour cela: c'est le mbarane.

mardi 5 octobre 2010

Le bateau tangue

Deng Xiaoping est HS pour la semaine, au lit avec une crise de palu. Côté jardin, les délestages électriques sont devenus si fréquents qu'on a passé la semaine avec des émeutes dans tout le pays - on arrête du coup d'approvisionner les usines pour accommoder les populations, les groupes électrogènes sont poussés à bout et commencent à rendre l'âme à leur tour.

Le fils du Président a été nommé ministre de l'énergie (en plus de ses trois autres ministères).

A part ça tout va bien, la saison des pluies semble terminée.

lundi 4 octobre 2010

L'Afrique

Ah, l'Afrique. Ses grands espaces, ses enfants souriants, ses femmes lascives et offertes, ses hommes musclés, avec le sens du rythme et du football. Et puis ses lions, zèbres et zébus. L'Afrique, en tout cas si je regarde la déco du salon de quelques personnes que j'ai connues, est un idéal romantique. Exploitée et vampirisée par le Blanc voire, depuis peu, le Chinois, il suffirait qu'on La libère de ses chaînes pour que L'Afrique prenne son envol. On ne compte d'ailleurs pas les chansons ou slogans qui rêvent d'Afrique - à commencer chez les Africains.

Foutaises.

L'UEMOA, l'Union des États francophones ouest-africains, doit sous peu intégrer la CEDEAO, communauté qui regroupe toute la sous-région (francophones et anglophones, + les portugants de Bissau et du Cap-Vert). On tient donc des réunions de travail très sérieuses pour harmoniser institutions et directives, taux de taxation et je ne sais quoi.

Les Libériens et Sierra Leonais, qui sortent de leurs guerres civiles respectives, ont besoin d'argent et imposent un tarif douanier à l'intérieur d'une zone de libre-échange. Les Nigérians sont d'accord avec toutes les propositions, du moment qu'il s'agit de leurs propositions. La plupart des réunions de travail finissent par être suspendues parce qu'elles tournent au concours de noms d'oiseaux entre francophones et anglophones, entre tout le monde et les Nigérians.

Les exemples se comptent par centaines, qu'il s'agisse des francs CFA d'Afrique de l'Ouest qui ne sont pas convertibles en CFA d'Afrique centrale, des présidents qui financent la rébellion du voisin ou, plus près de la population, du vote ethnique qui fait qu'on repousse sans cesse les élections en Côte d'Ivoire ou en Guinée: un Malinké ne votera pas pour un Peulh, point barre.

J'ai lu un excellent bouquin de Ryszard Kapuściński intitulé Ébène: il y explique que la colonisation a trouvé 10'000 royaumes et les a regroupés en 53 pays en moins de 150 ans. Vouloir ajouter une nouvelle couche d'unité, c'est aller un peu vite en besogne.

Un consultant avec qui je discutais a été beaucoup plus direct: si quelqu'un parle de l'Afrique au singulier, comme d'une seule entité, c'est probablement qu'il n'y a jamais vraiment foutu les pieds.

samedi 2 octobre 2010

Le nègre

Le QG a une idée géniale: on va faire une campagne de presse pour sensibiliser les gens à nos problèmes de toubabs.

Rappel sommaire et plein de clichés vrais: la presse africaine, pour ce que j'ai vu, n'est pas de la meilleure qualité. Au Sénégal par exemple on trouve difficilement une édition qui ne parle en première page et Grosses Lettres d'un énième scandale de sexe ou corruption, ou de catastrophes naturelles - le tout enveloppé dans du chien écrasé. Le dernier canard béninois que j'ai feuilleté parlait de résurrection des morts en première page (le Bénin est la patrie du vaudou). Une technique bien rodée consiste aussi à sortir 2-3 papiers incendiaires et demander une "participation" au sujet (ONG, entrerprise, agence internationale ou personnalité publique) pour publier un rectificatif.

Voila pour le contexte. Une presse de mauvaise qualité, qui fait son fond de commerce sur l'émotionnel et tire à boulets rouges sur tout ce qui est blanc et refuse de payer. Autant dire que jusqu'à présent moins on les voyait, mieux on se portait. Le Citron, qui gère la Communication, n'a d'ailleurs jamais parlé à un journaliste de sa vie: mieux vaut se faire accuser d'avoir tué Kennedy une fois tous les trois mois et ne rien dire, que mettre les doigts dans un engrenage pour lequel on n'aura jamais assez de budget et d'avocats.

Mais le QG insiste, la-campagne-sera-mondiale-c-est-important, ça devient difficile de dire qu'on va rester les bras croisés plutôt que d'encourager quelqu'un à comprendre la moitié de ce qu'on lui explique et nous demander des sous pour cela. Deng Xiaoping et l'Oncle Bens décrochent donc leur téléphone pour appeler des copains journalistes et leur demander de placer des articles pour eux. Pas de problème, ici on peut faire beaucoup de choses (tout, en fait) pour un ami.

Et c'est comme cela que je suis devenu nègre. J'ai écrit un article, décliné l'objet en trois-quatre variations pas totalement identiques, et ils sont expédiés pronto aux amis susmentionnés. J'avoue être presque flatté du commentaire de l'un de nos contacts: "Présente très bien le sort des paysans africains, prêt à l'emploi" (je suis d'avis qu'il faut toujours placer un paysan africain quelque part). 48h plus tard et ma prose apparaît quasi-inchangée dans six journaux de quatre pays différents.

Je m'appelle donc Ould, François, Haoua, et La Rédaction.

Deng ne veut cependant pas que le QG découvre combien c'était facile, ils pourraient revenir à la charge pour nous en demander plus (et on garde peu d'amis si on doit leur demander un service toutes les 2-3 semaines). Il s'est donc arrangé pour que d'autres contacts sur place lui envoient un amical email du genre "Je lisais innocemment la presse ce matin quand je suis tombé sur cet article qui pourrait t'intéresser." On les distillera au cours des prochains jours.

vendredi 1 octobre 2010

Fun fact of the day

Tout le monde sait que Khadafi ne reste jamais vraiment chez ses hôtes, mais plante plutôt sa tente dans leur jardin. Les Mauritaniens ont apparemment refusé en 1988, et il n'y est plus retourné pendant vingt ans.

Le truc que je ne savais pas, c'est que quand il rend visite à quelqu'un, le Roi des Rois fait venir son personnel (normal) et ses voitures blindées (ce qui se défend), mais aussi sa nourriture. C'est ainsi que pendant le dîner de gala donné pour le cinquantenaire de l'indépendance malienne, on me rapporte qu'il se faisait servir à part des assiettes apportées par ses gens et couvertes d'un papier alu.

Le moins qu'on puisse dire, c'est que c'est un invité qui ne coûte pas cher.